Les organismes de gestion de la pêche doivent faire preuve de plus de transparence dans leur prise de décisions
Certaines ORGP invoquent la pandémie de COVID-19 pour justifier la tenue à huis clos des négociations.
Le secteur de la pêche et des produits de la mer enregistre un chiffre d'affaires annuel évalué à plusieurs milliards d'euros, et pratiquement tous les pays de la planète jouent un rôle dans la chaîne d'approvisionnement, que ce soit au niveau de la pêche, de la transformation, de l'achat ou de la consommation. Plus de 130 stocks de poissons gérés à l'échelle internationale sont susceptibles d'être commercialisés, et de nombreuses espèces, dont le requin et la raie, sont potentiellement affectées par ces activités de pêche. Quelle que soit l'espèce concernée, il est essentiel que toutes les parties prenantes coopèrent pour mettre en œuvre une gestion fondée sur l'approche de précaution et la science afin de garantir une pêche durable et préserver la santé des écosystèmes.
Les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP), souvent composées de douzaines de pays, fixent les règles pour définir combien de ressources peuvent être capturées et comment elles peuvent l'être, le plus souvent lors de négociations multilatérales tendues. La transparence est une condition fondamentale des négociations. En 1995, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture et l'Accord des Nations unies sur les stocks de poissons ont reconnu les avantages du principe de transparence, stipulant que les personnes intéressées doivent pouvoir accéder, dans des limites raisonnables, aux informations, au processus décisionnel et aux conclusions.
Il est prouvé que des négociations transparentes renforcent la légitimité et l'adhésion aux décisions relatives aux quotas de pêche et autres mesures connexes. Les règles sont davantage respectées car les failles sont plus rares. Par ailleurs, les gouvernements se montrent plus responsables à l'égard des règles et plus attentifs aux personnes et organisations qui dépendent de ces pêches. En autorisant des observateurs à assister à leurs réunions et à participer aux discussions, les ORGP peuvent bénéficier de conseils techniques, de capacités d'analyse et de recherche et même de sources de financement.
La pandémie de COVID-19 a changé la façon dont la plupart des organismes, y compris les ORGP, fonctionnent. Les réunions virtuelles ont certains inconvénients, mais offrent aussi de nombreuses possibilités. Les ORGP doivent utiliser un système de conférence en ligne et proposer un accès libre aux données afin d'améliorer la transparence et s'assurer que les décisions sont bien assimilées par les ֤États membres et les groupes d'observateurs, y compris les acteurs du secteur et les parties prenantes non gouvernementales. Malgré ces outils, le manque de transparence reste un problème, et s'intensifie même au sein de certaines ORGP. Comme l'a fait remarquer un article récemment paru dans la revue spécialisée Marine Policy, cette situation pourrait avoir des conséquences bien réelles, notamment en limitant les capacités des ONG ayant un statut d'observateur à demander des comptes aux ORGP et à surveiller leurs efforts de conformité.
État de la transparence en 2020
Avec la pandémie, la transparence est devenue un sujet de préoccupation majeur pour plusieurs organismes de gestion de la pêche. Par exemple, la Commission des pêches du Pacifique Nord, qui gère des pêcheries de petits pélagiques et de fond, n'a autorisé aucun observateur à assister aux réunions de son groupe de travail, qui se tiennent de façon virtuelle. Par conséquent, les observateurs ne peuvent pas participer aux discussions majeures susceptibles d'affecter les décisions de gestion et la durabilité de ces pêcheries.
Cette année, le Comité Scientifique International pour le thon et autres thonidés du Pacifique Nord, qui fournit à deux ORGP des conseils sur l'état et la conservation des stocks halieutiques commercialement importants, tels que le thon rouge du Pacifique dont la ressource est épuisée, n'a lancé son invitation aux observateurs que la veille de sa réunion plénière. Cela fait maintenant des années que les membres de la Commission des pêches de l'Atlantique du Nord-Est autorisent les représentants du secteur à assister à leurs séances annuelles sur la gestion des stocks individuels, mais interdisent aux organisations de la société civile d'en faire de même.
Un peu plus tard cette année, la Commission des thons de l'océan Indien, la Commission interaméricaine du thon tropical et la Commission des pêches pour le Pacifique occidental et central tiendront des réunions en ligne, cruciales pour les questions de conservation. Même si ces trois organismes autorisent les observateurs à participer aux groupes de travail, la Commission des pêches pour le Pacifique occidental et central interdit aux organisations observatrices d'assister aux discussions concernant les rapports de conformité des États membres. Pourtant, d'après ses conseillers juridiques et un comité de révision indépendant, rien dans la Convention de la Commission des pêches pour le Pacifique occidental et central ne s'oppose à plus de transparence. On ne sait pas encore comment cette Commission et les autres ORGP garantiront la transparence de ces réunions virtuelles.
Certaines ORGP pourraient renoncer à organiser des réunions virtuelles au profit d'une communication par e-mail. Bien que la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (CICTA) ait annulé sa réunion annuelle qui devait se tenir en novembre, elle a laissé entendre qu'elle pourrait prendre des décisions importantes concernant la gestion et les quotas de pêche par e-mail. Reste à définir l'organisation d'un tel processus et à savoir si des observateurs pourront participer ou avoir accès à la correspondance des représentants gouvernementaux. La CICTA a déjà dit qu'elle allait finaliser par e-mail les avis scientifiques concernant la gestion des pêcheries, mais elle n'a pas précisé comment les scientifiques des ONG pourraient eux-mêmes participer.
La voie à suivre
Tandis que la pandémie de COVID-19 se poursuit, les ORGP devraient délaisser les mesures d'urgence à court terme au profit de procédures et normes qui leur permettront de gérer durablement et efficacement les stocks de poissons. Même si les réunions en personne seront toujours nécessaires, cette transformation numérique est pour les ORGP l'occasion de renforcer la participation au processus de décision et d’améliorer encore la transparence, plutôt que de la restreindre.
La pandémie de COVID-19 constitue un choc sans précédent pour les pêcheries du monde entier, mais elle montre aussi à quel point il est important de pouvoir compter sur des systèmes alimentaires sains et résilients. Les ORGP doivent tenir leur engagement à l'égard d'une plus grande transparence dans leur prise de décision concernant nos ressources communes. La participation de la société civile, par l'intermédiaire des ONG, dans les délibérations et décisions des ORGP est essentielle pour assurer la transparence et permettre au grand public de comprendre les décisions prises en matière de gestion de la pêche. En l'absence de transparence, les populations risquent de ne plus s'intéresser à ce qui se passe en mer et les gouvernements de ne pas assumer leurs responsabilités, ce qui serait préjudiciable à la durabilité de la pêche.
Rachel Hopkins dirige les initiatives de sensibilisation de The Pew Charitable Trusts en faveur d'une amélioration de la gestion des pêcheries internationales par les organisations régionales de gestion de la pêche. Rachel Hopkins est senior manager et experte des ORGP pour l’équipe pêcheries internationales de The Pew Charitable Trusts.