Les aires marines protégées peuvent-elles sauver les océans ?
D'après les experts, la pérennité des écosystèmes repose sur la création de réserves, qu'elles soient grandes ou petites
Au cours des dix dernières années, le mouvement de protection des océans a fait d’importants progrès dans le monde entier. De nombreux pays, dont le Chili, le Mexique, Palau, le Royaume-Uni et les États-Unis, ont créé de vastes aires marines protégées (AMP). Ces sanctuaires de la biodiversité, créés en réponse aux menaces grandissantes qui pèsent sur les océans, constituent une avancée importante et encourageante, mais pas suffisante. En effet, seuls 3,7 % des océans sont protégés. Les gouvernements doivent donc agir vite pour atteindre l'objectif de développement durable des Nations unies, qui prévoit la protection de 10 % des océans d'ici 2020. Par ailleurs, des efforts seront d’autant plus nécessaires pour atteindre 30 % de protection, le minimum recommandé par l'Union internationale pour la conservation de la nature pour assurer la pérennité des océans.
Une nouvelle étude publiée en avril dans la revue BioScience, financée en partie par le Projet Héritage des océans de Pew et Bertarelli, a étudié les bénéfices et critiques associés à la création d'aires marines protégées de grande taille (au moins 100 000 kilomètres carrés). Les auteurs, une équipe de 14 experts des océans menée par le docteur Bethan O'Leary de l'université de York, ont conclu que les AMP de grande taille constituent un outil essentiel pour répondre aux enjeux de la santé et la gestion des océans.
The Pew Charitable Trusts s'est entretenu avec le docteur O'Leary au sujet de cette étude et de la protection des océans.
Q : Quel était l'objectif de cette étude ?
R : Les scientifiques et les partisans de la protection des océans s'interrogent depuis un moment sur l'intérêt des AMP de grande taille. Au cours des dernières années, le débat s'est fortement polarisé. Pour autant, je trouvais que les arguments avancés reposaient sur de fausses dichotomies. Les coauteurs et moi-même avons analysé les arguments fréquemment avancés pour critiquer les AMP de grande taille, et en avons déduits les bénéfices de manière indirecte. Nous avons constaté que la plupart des critiques concernant les AMP de grande taille, par exemple le fait qu'elles sont difficiles à surveiller et à faire respecter, peuvent également être formulées pour les AMP plus petites, et même pour la gestion mariime dans son ensemble, y compris la réglementation de la pêche.
Q : Quels sont les avantages des AMP de grande taille par rapport à celles de petite taille ?
R : Les AMP de grande taille couvrent souvent des écosystèmes entiers, préservant mieux leur structure et leur fonction. Ces grandes surfaces protègent également des populations plus importantes d'un plus grand nombre d'espèces, réduisant ainsi le risque de déclin ou de disparition de ces espèces. Les AMP de grande taille sont moins vulnérables aux impacts indirects des activités d’origine humaine à l’extérieur de l’AMP. Enfin, leur grande taille est nécessaire pour pouvoir bénéficier à des espèces parmi les plus mobiles au monde, comme les baleines, les requins, les tortues, les oiseaux marins et les thons.
Q : Hormis la superficie, quels autres facteurs jouent un rôle dans la réussite d'une AMP ?
R : Les aires protégées ont des bénéfices écologiques supérieurs lorsqu'elles sont : totalement protégées des activités d'extraction, de grande taille, sur le long-terme, isolées et correctement respectées. La réserve marine des îles Pitcairn, administrée par le Royaume-Uni, et l'aire de Papahanaumokuakea, administrée par les États-Unis, répondent à ces cinq critères. Les AMP multi-usages qui autorisent certaines formes de pêche, dans certains contextes, génèrent également des avantages et peuvent contribuer à équilibrer les objectifs sociaux, écologiques et économiques.
Q : Existe-t-il des avantages à instaurer des réserves marines dans des régions isolées, soumises à une pression humaine limitée, plutôt que dans les eaux côtières ?
R : Les AMP de grande taille ont été vivement critiquées pour ne pas « s'attaquer au problème de protection le plus évident », car elles sont souvent créées dans des régions peu soumises à l'influence de l'homme. Nous estimons qu'elles jouent un rôle préventif en préservant la santé des écosystèmes et en renforçant leur résilience face aux changements mondiaux. Mieux vaut prévenir que guérir : les données scientifiques suggèrent que la protection de régions déjà bien préservées tout comme la protection de régions dégradées ont leurs avantages. Les zones isolées et intactes peuvent offrir un sanctuaire dont l'importance ira croissant pour la faune océanique à mesure que la pression dans les autres régions s'accentuera.
Q : Est-il difficile de surveiller et faire respecter les AMP dans les régions isolées ?
R : Les progrès rapides des technologies, comme les drones, radards et la surveillance par satellite, permettent de contrôler de manière rentable des zones étendues et isolées plus efficacement qu'il y a encore quelques années. Par ailleurs, le renforcement de la coopération internationale en matière de gestion des océans devrait progressivement simplifier le processus. Pour autant, surveiller et faire respecter les AMP de toutes tailles, tout comme les autres outils de gestion, restent souvent des tâches complexes. Nous devons faire mieux sur tous les points.
Q : Que peuvent faire les gouvernements pour réduire en amont l'impact du changement climatique sur les océans ?
R : La mise en place d'AMP de grande taille constitue déjà une première étape essentielle. Les aires marines entièrement protégées et bien gérées contribuent à préserver la biodiversité et les fonctions écologiques ou à les rétablir si elles ont été endommagées. Cette amélioration limite en conséquence l'impact du changement climatique et les effets de l'acidification des océans, de la montée du niveau de la mer, de l'intensification des tempêtes, de la tropicalisation et de la réduction de l'oxygène disponible pour la vie marine. Nous avons besoin d'aires marines protégées de grande taille dans les eaux internationales et d'aires plus petites près des côtes. Nous ne devons pas nous limiter aux unes ou aux autres, en particulier si nous comptons atteindre les recommandations de l'Union internationale pour la conservation de la nature, de protéger au moins 30 % des habitats de tous les océans de toute activité d'extraction d'ici 2030.