Questions fréquemment posées : Les thons et les requins ont tant à gagner...ou à perdre lors des réunions des pêcheries
La CICTA devrait faire preuve de prudence lors de la fixation des quotas et s'efforcer de mettre fin aux querelles qui ne manquent pas de surgir chaque année
La Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique s'apprête à prendre des décisions cruciales qui pourraient bien sceller le sort du thon rouge de l'Atlantique.
© Greg LecoeurLors de la prochaine réunion de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (CICTA) qui se tiendra du 14 au 22 novembre à Marrakech au Maroc, l'avenir du thon rouge de l'Atlantique, l'une des espèces les plus commercialisées, et du requin mako, une espèce particulièrement vulnérable, sera en jeu. Bien que les 51 gouvernements membres de la CICTA s'intéressent principalement aux thons, ils prennent également des décisions concernant d'autres espèces, telles que les requins, qui sont souvent capturées conjointement avec les thons dans les zones gérées par la CICTA.
Les mesures que s'apprête à prendre la CICTA concernant ces espèces importantes, telles que les quotas et les interdictions, permettront de déterminer si la commission entend vraiment gérer les pêcheries en vue d'une exploitation durable, et non pas seulement pour en tirer des avantages économiques à court terme.
Avant les réunions de la CICTA, The Pew Charitable Trusts reçoit un grand nombre de questions au sujet de l'état de ces stocks, du mode de fonctionnement de la commission et de la meilleure voie à suivre pour garantir des pêcheries prospères. Voici les réponses aux questions qui nous sont le plus souvent posées.
Q : Les décisions de la CICTA ont-elles permis de reconstituer les stocks du thon rouge de l'Atlantique ?
R : Il y a huit ans, les stocks de thon rouge de l'Atlantique Est et Ouest étaient si bas qu'une interdiction internationale de commercialiser ces espèces avait été envisagée et que la CICTA avait été qualifiée de « disgrâce internationale » dans une évaluation de ses performances menée par une entité indépendante. Bien qu'une gestion prudente fondée sur les avis des scientifiques ait permis aux deux stocks, et notamment au stock de thon rouge occidental, de commencer à se reconstituer, les résultats de l'évaluation réalisée cette année étaient si incertains que les scientifiques ont préféré ne pas en tirer de conclusion. Malgré cette incertitude, l'évaluation a montré que le stock occidental se situait entre 45 et 69% du niveau déjà très bas de 1974, et que le thon rouge de l'Atlantique Est était probablement encore surexploité.
Q : Si l'état du stock de thon rouge s'améliore, pourquoi ne pas relever les quotas ?
R : La CICTA s'est engagée à reconstituer le stock du thon rouge occidental avant l'année prochaine et celui du thon rouge oriental avant 2022. La meilleure façon d'y parvenir, conformément au mandat de la CICTA, est de favoriser l'augmentation des stocks jusqu'à ce qu'ils soient en voie de reconstitution et de continuer à appliquer les plans existants jusqu'à leur reconstitution totale. Les quotas de 28 000 tonnes métriques pour le stock oriental et de 1 000 tonnes métriques pour le stock occidental vont dans ce sens.
Q : Mais des quotas plus élevés de thon rouge de l'Atlantique ne seraient-ils pas bénéfiques aux pêcheurs ?
R : Pas nécessairement. Une analyse intitulée « Augmentation des quotas de pêche au thon : au bénéfice de qui ? » réalisée cette année montre qu'une augmentation des quotas de thons n'est pas toujours bénéfique. En effet, lorsque l'offre de thon rouge de l'Atlantique augmente, comme c'est le cas depuis 2015 sous l'effet de l'augmentation rapide des quotas du thon rouge oriental, cela a des répercussions directes sur le prix de ces stocks, ainsi que sur celui d'autres espèces de substitution comme le thon obèse. Pour certains produits, comme le thon rouge de l'Atlantique et le thon obèse frais, la diminution du prix est telle que les pêcheurs perdent en fait de l'argent. Et bien sûr, des quotas plus élevés signifient une intensification de la pêche, qui pourrait nuire à long terme aux pêcheurs en allongeant le temps nécessaire à la reconstitution des stocks.
Q : Une limite de capture stricte favoriserait-elle la reconstitution du stock de requin mako ?
R : Selon l'évaluation de 2017, le requin mako fait l'objet d'une surpêche et d'une surexploitation dans l'Atlantique nord. Il s'agit de l'un des requins les plus vulnérables pêchés dans la zone gérée par la CICTA. L'évaluation a montré que même avec une interdiction totale de la rétention des requins pêchés, le stock n'aurait que 54 % de chances de se reconstituer d'ici 2040. La CICTA devrait promulguer une interdiction générale de rétention pour au moins rendre possible la reconstitution du stock. Bien que les résultats concernant le stock du sud ne permettent pas de tirer de conclusions dans un sens ou dans l'autre, il est impératif que les gestionnaires appliquent un principe de précaution pour entraver le déclin des stocks dans la mesure où il s'agit d'une espèce particulièrement vulnérable et probablement surexploitée.
Q : La CICTA a-t-elle éradiqué la pêche illégale dans sa zone d'intervention ?
R : La Commission a pris des mesures visant à réduire la pêche illégale par le biais de pratiques de gestion et de conformité plus strictes et la mise en œuvre en 2016 du système de suivi électronique des prises de thon rouge (eBCD), qui permettent de contrôler le commerce du thon rouge et de s'assurer qu'il se déroule en toute légalité. Cependant, les scientifiques de la CICTA s'inquiètent de la recrudescence de la pêche illégale. La Commission doit donc s'assurer de la conformité des navires aux exigences de mise en place du système de surveillance, les responsabiliser davantage en exigeant que tous les navires pêchant dans les eaux de la CICTA possèdent un numéro de l'Organisation maritime internationale et continuellement mettre à jour la liste des navires pratiquant la pêche illégale afin que les états du pavillon et les autorités puissent disposer des informations les plus récentes.
Il est également important que les membres de la CICTA jouent le jeu de la transparence et rendent publique toute information qu'ils peuvent avoir sur les activités de pêche illégale dans leurs eaux, d'autant plus que de telles activités peuvent déboucher sur des captures largement supérieures aux niveaux recommandés par les scientifiques. Les actions de l'Union européenne à cet égard sont particulièrement cruciales : étant donné qu'elle contrôle 59 % du quota du thon rouge de l'Atlantique Nord et une part considérable du commerce entre ses états membres, l'Union européenne doit impérativement mettre en œuvre le système électronique eBCD afin d'entraver la pêche illégale du thon rouge.
Q : Chaque année la CICTA bataille pour la fixation des quotas. Que faut-il faire pour mettre fin à cette situation ?
R : Les organisations régionales de gestion de la pêche, dont notamment la CICTA, tendent à abandonner les méthodes de gestion traditionnelles au profit d'un nouveau système, à savoir les stratégies de pêche. Cette méthode utilise les données disponibles sur un stock de poissons pour créer des cadres et règles sur lesquels les états membres s'accordent avant de prendre des décisions sur les quotas et d'autres questions clés. Cette année, nous espérons que la CICTA adoptera une stratégie de pêche pour le germon du nord et poursuivra ses efforts afin d'appliquer dès que possible cette méthode à ses autres stocks prioritaires.
Ces dernières années, la CICTA a fait des progrès considérables et met en œuvre une gestion des stocks plus efficace, basée sur la science. Elle doit à présent poursuivre sur sa lancée et remplir son mandat en assurant la conservation des espèces qu'elle est chargée de protéger.
Rachel Hopkins, Jen Sawada et Julie Janovsky dirigent respectivement les campagnes mondiales de Pew en faveur de la protection du thon, de la protection des requins et de l'éradication de la pêche illégale.