Le nouveau traité sur la haute mer

Les dispositions relatives à la vie marine, à l’impact de l’activité humaine, aux aires protégées et à d’autres aspects témoignent de la promesse d’une coopération internationale.

Le nouveau traité sur la haute mer

Le 20 septembre 2023, les Nations unies ont ouvert à la signature et à la ratification leur nouvel accord sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale en haute mer (connu sous le sigle anglais BBNJ, Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction), également connu sous le nom de traité de la haute mer.1 L’ONU a adopté l’accord par consensus en juin 2023, après près de deux décennies de négociations. Cet accord historique offre à la communauté internationale l’occasion de protéger une partie de la vie marine et des écosystèmes abondants dans les deux tiers de l’océan qui ne relèvent de la juridiction d’aucun pays.

Dispositions du traité

Des recherches ont montré que la haute mer constitue l’un des plus grands réservoirs de biodiversité de la planète.2 Elle abrite des pêcheries importantes, offre des voies de migration pour les baleines et les requins et regorge d’écosystèmes remarquables, tels que les coraux d’eau profonde et d’autres espèces marines majestueuses.3

Le traité sur la haute mer couvre quatre éléments clés:4

  • Les ressources génétiques marines (RGM).
  • Les outils de gestion par zone, qui comprennent les aires marines protégées (AMP).
  • Les études d’impact sur l’environnement (EIE).
  • Le renforcement des capacités et le transfert de technologies marines.

Le traité établit également un organe décisionnel (connu sous le nom de Conférence des parties, ou CdP), un organe scientifique et technique, un secrétariat et d’autres comités et mécanismes chargés de remplir des fonctions spécifiques.

Le traité entrera en vigueur 120 jours après sa ratification officielle par le 60e pays.

Ressources génétiques marines

Les ressources génétiques marines (RGM) désignent le code génétique et d’autres informations, y compris les informations de séquençage numérique, présentes dans la vie marine et susceptibles d’avoir une valeur commerciale. Lorsque les RGM sont associées à des connaissances ancestrales détenues par les peuples autochtones et les populations locales, le traité exige que les parties veillent à ce que l’accès à ces RGM ne se fasse qu’avec le consentement libre, préalable et éclairé ou l’approbation et la participation de ces peuples autochtones et de ces populations locales.

Le traité énonce que l’accès aux RGM et le partage des bénéfices qui en découlent doivent :

  • Être justes et équitables.
  • Renforcer les capacités des pays en développement.
  • Favoriser le développement des connaissances et l’innovation.

Le traité, qui ne restreint pas l’accès aux RGM, impose aux États parties l’obligation de partager de manière transparente les informations relatives à la collecte et à l’utilisation de ces ressources, et de donner aux scientifiques, en particulier ceux des pays en développement, la possibilité d’accéder aux RGM en haute mer et de participer à la recherche dans ce domaine.

Le traité précise également que les bénéfices des RGM, y compris les bénéfices monétaires, doivent être partagés de manière juste et équitable, mais laisse au futur organe du BBNJ le soin de déterminer les modalités exactes de ce partage. Dans l’intervalle, le traité oblige les États parties développés à verser une certaine somme d’argent à un fonds spécial qui sera utilisé pour aider les pays en développement à mettre en œuvre le traité. Le traité prévoit également la création d’un comité chargé de contribuer à l’élaboration de lignes directrices et de modalités détaillées relatives au partage des bénéfices tirés des ressources génétiques renouvelables.

Outils de gestion par zone

Ce chapitre du traité définit la voie juridique et le processus permettant aux pays de mettre en place des outils de gestion par zone, y compris des aires marines protégées (AMP), en haute mer. Les dispositions du traité relatives aux outils de gestion par zone seront essentielles pour aider la communauté internationale à atteindre l’objectif du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, qui consiste à protéger 30 % des océans d’ici à 2030. La Convention des Nations unies sur la diversité biologique a adopté cet objectif, connu sous le nom de « 30 d’ici 30 », en décembre 2022.

Le traité BBNJ ne se contente pas de proposer aux pays de mettre en place des mesures de protection en haute mer : il fixe comme objectif aux pays membres d’établir un « réseau écologiquement représentatif et bien connecté » d’AMP et de fournir des capacités et un transfert de technologie pour aider les pays en développement à créer et à mettre en œuvre des AMP.

La procédure de création d’outils de gestion par zone ou d’une AMP dans le cadre du traité commence par la soumission d’une proposition d’AMP par une partie au traité et par la mise en place d’un processus de consultation des parties prenantes. Après avoir pris en compte les résultats des consultations, l’organe scientifique du BBNJ examine et évalue la proposition avant qu’elle ne soit soumise à l’organe décisionnel du BBNJ (la CdP mentionnée ci-dessus). Cet organe tiendra compte des contributions des parties prenantes et de l’organe scientifique lorsqu’il décidera de créer ou non l’AMP. L’organe décisionnel s’efforcera d’adopter les AMP par consensus, mais pourra le faire par un vote à la majorité des trois quarts s’il n’est pas possible de parvenir à un consensus.

Une fois qu’une AMP est créée, les États parties et le comité scientifique sont chargés de surveiller et d’examiner l’aire protégée pour s’assurer qu’elle progresse vers ses objectifs de conservation. L’organe décisionnel peut adapter l’AMP ou ses mesures de gestion lorsque l’organe scientifique recommande que des changements sont nécessaires pour accroître l’efficacité de l’AMP.

Le traité autorise également l’organe de décision à prendre des « mesures d’urgence » lorsque cela est nécessaire pour faire face à des catastrophes naturelles ou causées par l’homme qui ont (ou risquent d’avoir) gravement endommagé les écosystèmes en haute mer. Toutefois, avant de pouvoir recourir à ces mesures, l’organe de décision du BBNJ doit d’abord décider de procédures et de lignes directrices supplémentaires qui précisent la manière dont ces mesures doivent être mises en œuvre.

Le traité reconnaît que ce nouvel organe du BBNJ fonctionnera aux côtés d’autres organisations qui gèrent différents aspects des activités humaines en haute mer, tels que la pêche, l’exploitation minière et le transport maritime. À cette fin, le traité souligne que l’organe du BBNJ doit coopérer et travailler en coordination avec les autres organes pour faire progresser les outils de gestion par zone et les AMP.

Études d’impact sur l’environnement

Le chapitre du traité consacré à l’étude de l’impact sur l’environnement (EIE) comprend de nombreuses dispositions essentielles pour la protection des océans. En particulier, le chapitre sur l’EIE établit des exigences modernes de base pour l’évaluation des activités humaines planifiées et exige que les activités qui se déroulent en haute mer ou qui peuvent avoir un effet significatif sur celle-ci soient gérées de manière à éviter, à atténuer ou à gérer les effets négatifs significatifs.

Dans les cas où les activités sont évaluées et gérées par un autre organe de gouvernance, le rapport de cette EIE doit toujours être partagé publiquement via le centre d’échange d’informations du BBNJ, une plateforme centralisée permettant aux parties de partager des informations et, dans ce cas, de communiquer les résultats de leurs EIE. Lorsque l’organe de gouvernance qui a réalisé l’EIE n’assure pas également le suivi et l’examen de l’activité après la réalisation de l’EIE, le traité sur la haute mer oblige l’État responsable de cette activité à en assurer le suivi et l’examen, et à partager les rapports de suivi et d’examen par l’intermédiaire du centre d’échange d’informations du BBNJ.

Les nouvelles activités, telles que la géoingénierie à grande échelle, l’aquaculture en haute mer et les installations énergétiques flottantes, seront soumises aux exigences de l’EIE prévues par le traité BBNJ, qui comprennent également des dispositions détaillées en matière de notification et de consultation du public. En outre, le traité habilite l’organe scientifique et technique du BBNJ à examiner les rapports de suivi de l’EIE et à faire des recommandations à la partie responsable s’il détermine que l’activité pourrait avoir des impacts négatifs importants et imprévus ou qu’elle pourrait enfreindre les conditions d’approbation.

En outre, une autre partie au traité BBNJ peut faire part de ses préoccupations concernant l’impact négatif important et imprévu de l’activité sur l’environnement ou le non-respect des conditions convenues, et l’organe scientifique et technique de BBNJ peut également examiner cette question.

Qu’il s’agisse d’une nouvelle activité qui doit être examinée dans le cadre de l’accord BBNJ ou d’une activité existante gérée par un autre organisme de gestion, le rapport de l’EIE doit être rendu public via un mécanisme d’échange d’informations. L’accord comprend une « norme de prise de décision » qui prévoit que les activités ne doivent être autorisées que lorsqu’elles peuvent être gérées de manière à éviter des impacts négatifs significatifs.

Bien qu’il appartienne à la partie responsable de décider si une activité peut être poursuivie, l’obligation de rendre publics les rapports d’évaluation et de suivi, ainsi que la possibilité d’un examen et de recommandations de la part de l’organe scientifique et technique, renforcent la transparence et la responsabilité au regard des activités en haute mer.

Outre les EIE, le traité permet également à la Conférence des Parties ou aux parties d’entreprendre une étude environnementale stratégique des effets potentiels d’un plan ou d’un programme sur le milieu marin. Même si des orientations supplémentaires devront être élaborées, les études environnementales stratégiques pourraient être des outils puissants pour synthétiser les meilleures informations disponibles sur une région, évaluer les impacts actuels et futurs potentiels et identifier les lacunes en matière de données et les priorités en matière de recherche.

Renforcement des capacités et transfert de technologies marines

Le renforcement des capacités et le transfert de technologies marines est à la fois un chapitre autonome de l’accord et un élément transversal.

Le chapitre consacré au renforcement des capacités et au transfert de technologies marines fixe les objectifs suivants :

  • Aider les parties, en particulier les États parties en développement, à mettre en œuvre l’accord.
  • Permettre une coopération et une participation inclusives, équitables et efficaces aux activités entreprises dans le cadre de l’accord.
  • Faire progresser les capacités scientifiques et technologiques marines.
  • Accroître et partager les connaissances sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité en haute mer.

Le traité fournit également des orientations sur les moyens de renforcer les capacités et de transférer les technologies, et précise plus spécifiquement que de tels efforts doivent être pilotés par les pays, transparents, efficaces et itératifs. Dans ce chapitre, des exemples de différents types de renforcements des capacités et de transferts de technologies marines sont présentés, tels que le partage et l’utilisation de données, d’informations, de connaissances et de recherches pertinentes, ainsi que l’élaboration de programmes techniques, scientifiques, de recherche et de développement. Dans ce même chapitre, il est également prévu d’instituer un comité chargé de suivre, d’examiner et de faire progresser le renforcement des capacités et le transfert de technologies marines.

D’autres chapitres du traité font référence au renforcement des capacités et au transferts de technologies marines et à la manière dont ils pourraient contribuer à garantir une mise en œuvre efficace des dispositions relatives aux ressources génétiques marines, aux outils de gestion par zone et à l’EIE. L’inclusion du renforcement des capacités et du transfert de technologies marines dans l’ensemble du texte reflète la reconnaissance du fait que le succès du traité nécessitera que tous les États parties soient dotés de moyens et d’équipements suffisants pour tirer parti des possibilités offertes par le traité et s’acquitter des obligations qui en découlent.

Questions transversales

Outre ces quatre éléments, le traité comporte plusieurs éléments transversaux. Par exemple, le traité établit les différents organes en charge de la mise en œuvre du texte du traité, tels que l’organe de décision (la CdP), l’organe scientifique et technique et le comité de mise en œuvre et de conformité. D’autres éléments transversaux identifient certains principes et approches à suivre, tels que le principe du « pollueur-payeur » et l’approche écosystémique de la gestion du milieu marin.5 Les éléments transversaux précisent également les dispositions en matière de financement, les orientations sur la manière de régler les différends et les relations entre l’accord BBNJ et les entités dirigeantes concernées.

Prochaines étapes

La première réunion de la CdP aura lieu dans l’année qui suit l’entrée en vigueur de l’accord. Un travail considérable reste à accomplir avant que le traité ne soit opérationnel.6 Ainsi, si le traité a créé un certain nombre d’organes différents pour l’aider à mener à bien ses travaux, il reste à préciser de nombreux détails essentiels au fonctionnement de ces organes, tels que les règles de procédure, les qualifications requises pour siéger dans les comités et la mobilisation des ressources financières. En participant à des réunions préparatoires pour régler ces détails, les États peuvent contribuer à une mise en œuvre rapide de l’accord.

En outre, si l’accord prévoit un mécanisme juridique pour établir un réseau d’AMP en haute mer, l’ensemble de la communauté internationale doit encore élaborer des propositions de zones à protéger en priorité. Les gouvernements, les scientifiques, les organismes de financement, les défenseurs des droits de l’homme et les autres parties prenantes peuvent commencer à faire progresser et à partager les connaissances scientifiques dans ces domaines et à renforcer les capacités et les technologies aux niveaux national et régional.

Le traité constitue une première étape importante et passionnante vers la protection de la haute mer et une occasion pour la communauté internationale de se réunir et d’examiner l’impact global des activités humaines sur les océans et la meilleure façon de répondre à ces préoccupations dans leur ensemble.

Le traité comporte des avancées importantes en matière d’équité, notamment dans ses dispositions relatives au partage des bénéfices, au renforcement des capacités et à la participation des détenteurs de savoirs ancestraux, des peuples autochtones et des populations locales aux décisions. Il est essentiel de veiller à ce que la communauté mondiale utilise les outils prévus par le texte du traité pour faire progresser la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine. Une telle initiative permettrait d’assurer un avenir prospère à la haute mer et à quiconque dépend de la bonne santé des océans.

Bibliographie

  1. Le traité est disponible dans les langues officielles de l’ONU : https://treaties.un.org/doc/Treaties/2023/06/20230620%2004-28%20PM/Ch_XXI_10.pdf Le champ d’application du traité BBNJ englobe toutes les zones qui ne relèvent d’aucune juridiction nationale, y compris « la zone » (les fonds marins internationaux) et la haute mer. Le choix de faire référence au « traité sur la haute mer » ou à la « haute mer » plutôt qu’aux « zones qui ne relèvent d’aucune juridiction nationale » tout au long de ce document a pour but de faciliter la compréhension auprès du grand public et ne reflète pas l’établissement d’un ordre de priorité entre les composantes ou les principes de l’accord BBNJ.
  2. Kristina M. Gjerde, « Ecosystems and Biodiversity in Deep Waters and High Seas », Union internationale pour la conservation de la nature, 2006, https://policycommons.net/artifacts/1376176/ecosystems-and-biodiversity-in-deep-waters-and-high-seas/1990438/.
  3. M.E. Visalli et al, « Data-Driven Approach for Highlighting Priority Areas for Protection in Marine Areas Beyond National Jurisidiction », Marine Policy 122 (2020), https://doi.org/10.1016/j.marpol.2020.103927.
  4. Nations unies, « Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale », 2023, https://treaties.un.org/doc/Treaties/2023/06/20230620%2004-28%20PM/Ch_XXI_10.pdf.
  5. Qu’entend-on par « gestion écosystémique des pêches » ? The Pew Charitable Trusts, 27 janvier 2016, https://www.pewtrusts.org/en/research-and-analysis/video/2016/what-is-ecosystem-based-fishery-management-a-cartoon-crash-course.
  6. « With High Seas Treaty Near Final, New Paper Offers Roadmap for Rapid Implementation, » The Pew Charitable Trusts, Nov. 14, 2022, https://www.pewtrusts.org/en/research-and-analysis/articles/2022/11/14/with-high-seas-treaty-near-final-new-paper-offers-roadmapfor-rapid-implementation.