Protéger la péninsule Antarctique est capital pour la vie marine
Les changements climatiques et la pêche intensive menacent le krill et ses prédateurs
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Les eaux au large de l’ouest de la péninsule Antarctique et la mer de Scotia abritent une vie marine diverse et abondante. On a des chances d’y croiser des orques, des baleines à bosse, des otaries à fourrure et des phoques crabiers, et quelque 1,5 million de couples de manchots Adélie, manchots à jugulaire et manchots papous qui nichent et se nourrissent dans ces eaux. En revanche, il est rare d’y trouver de larges bancs de krill de l’Antarctique, ces petits crustacés qui ressemblent à des crevettes et dont dépend la survie de ces espèces.
La péninsule est l’une des régions qui connaissent le réchauffement climatique le plus rapide, et les conséquences de ce changement menacent la vie marine. La hausse continue des températures entraîne un recul de la banquise, habitat des manchots, des phoques et d’autres espèces de l’Antarctique. La banquise est également essentielle à la survie du krill : ces créatures minuscules s’y reproduisent et, au stade juvénile, se nourrissent d’algues saisonnières qui prolifèrent sous la glace. Si les populations de krill s’effondrent, c’est toute la chaîne alimentaire de cette région qui se retrouve menacée.
En tant que précieux puits de carbone, le krill contribue à atténuer les changements climatiques. Il est en effet capable de piéger chaque année au fond de l’océan une quantité de carbone équivalente à celle produite par 35 millions de voitures. Outre les changements environnementaux, le krill subit la pression croissante d’une pêche intensive pratiquée dans les régions côtières de la péninsule.
Au mois d’octobre, le comité scientifique de la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) étudiera une proposition émise par le Chili et l’Argentine en vue de protéger de nombreuses zones stratégiques dans cette région. L’objectif est de réduire la pression qu’exercent les changements climatiques et la pêche sur la vie marine.
La proposition préconise l’interdiction de la pêche au krill sur une surface qui englobe les aires d’alimentation côtières des manchots et autres prédateurs du krill dans deux des zones les plus importantes de la péninsule du point de vue biologique : les détroits de Bransfield et de Gerlache. Elle comprend également l’interdiction permanente de la pêche dans une vaste zone de la mer de Bellingshausen, à l’ouest de la péninsule Antarctique, zone majeure de reproduction et de croissance du krill. Elle préconise, en outre, la protection totale d’habitats importants pour la reproduction et la croissance d’espèces de poissons essentielles tant sur le plan commercial qu’écologique, telles que la légine, le poisson antarctique et le poisson d’argent. Il est indispensable que ces protections comprennent des zones de référence où la pêche serait proscrite, afin que les scientifiques puissent différencier les impacts liés aux changements climatiques et ceux liés à la pêche dans cette région d’une grande richesse biologique.
En 2018, le Chili et l’Argentine ont soumis au comité scientifique de la CCAMLR une proposition pour l’aire marine protégée (AMP) Domaine 1. L’AMP serait divisée en trois zones : une zone de protection générale dans laquelle toute pêche serait interdite, à l’exception d’un nombre limité de prélèvements nécessaires à l’étude de l’état de santé des populations de krill locales, une zone de pêche exploratoire du krill dans laquelle les effets de la pêche sur ’écosystème pourraient être étudiés, et enfin une zone de gestion de la pêche spéciale, dans laquelle certaines pêches commerciales du krill seraient autorisées à condition de respecter la réglementation de la CCAMLR. La CCAMLR s’efforce de mettre en œuvre une gestion des pêches respectueuse des écosystèmes dans cette région, afin de protéger la diversité des animaux qui dépendent du krill de l’Antarctique.
Les zones importantes pour la conservation des oiseaux (ZICO) sont des zones stratégiques à l’échelle internationale. Des scientifiques ont identifié des ZICO terrestres sur la péninsule destinées aux colonies reproductrices les plus importantes de plusieurs populations d’oiseaux de mer, dont différentes espèces de manchots, pétrels, fulmars et skuas. Les ZICO marines créées pour la protection des manchots, notamment à jugulaire, Adélies et papous, correspondent aux principales aires d’alimentation des colonies les plus importantes de manchots.
À l’ouest de la péninsule Antarctique, la concurrence entre les prédateurs du krill est particulièrement forte. Le manchot Adélie, le manchot à jugulaire et le gorfou doré (ou gorfou macaroni), ainsi que les otaries à fourrure et d’autres animaux, survivent en se nourrissant principalement de cette espèce stratégique Les aires d’alimentation des prédateurs sont calculées en observant la distance maximale qu’un prédateur parcourt pour trouver de la nourriture.
Le krill antarctique (Euphausia superba) survit à son premier hiver en se nourrissant des algues qui prolifèrent sous la banquise, qui constitue de ce fait un site de développement clé pour le krill larvaire. La production d’algues glaciaires au début du printemps stimule également la croissance du krill adulte après l’hiver, lorsque la nourriture se fait rare. Lors du recul de la banquise en été, ce qui correspond à sa période de reproduction, le krill se nourrit de phytoplancton. La chronologie et la synchronisation de ces processus dans la zone de glace saisonnière sont déterminantes pour la santé des populations de krill. Or les températures dans cette région augmentent plus rapidement que partout ailleurs sur la Terre, entraînant une destruction massive de la banquise, principal habitat du krill, et des algues qui prolifèrent en dessous et dont le krill se nourrit.
Les écosystèmes marins vulnérables (VME) comprennent les hauts-fonds, les cheminées hydrothermales, les coraux d’eaux froides et les champs d’éponges. Ces caractéristiques géographiques uniques constituent des zones de biodiversité exceptionnelles. Les zones marines sont automatiquement protégées par la CCAMLR dès qu’elles sont classées dans la catégorie des VME.
Les instigateurs de l’AMP Domaine 1 ont identifié des zones à protéger en priorité dans la région, en utilisant l’outil d’aide à la prise de décision Marxan. L’outil Marxan détermine les objectifs de protection d’une région en intégrant des centaines d’ensembles de données sur la biodiversité, l’environnement et l’utilisation humaine. Les aires de conservation sont sélectionnées en fonction du nombre de fois où elles sont définies comme prioritaires pour des mesures de protection par les différents modèles exécutés.
Les baleines à bosse appartiennent à la famille des mysticètes, qui filtrent leur nourriture grâce à leurs fanons et constituent un maillon important de la chaîne alimentaire marine de la péninsule Antarctique. Chassés au cours des deux derniers siècles, ces mammifères gigantesques, qui se nourrissent presque exclusivement de krill, ont bien failli disparaître. Mais aujourd’hui, leur population commence à se reconstituer. La gestion de la pêche du krill antarctique doit prendre en compte les besoins de cette population en cours de reconstitution, afin de réduire la concurrence des espèces vis-à-vis du krill. L’habitat des baleines à bosse a été modélisé à partir des données de localisation des baleines en déplacement ou en recherche de nourriture.
L’écosystème marin de la péninsule Antarctique est stratégique pour les orques à l’échelle planétaire, tant pour son abondance que pour sa diversité. La région abrite trois écotypes connus d’orques qui se différencient par leurs régimes alimentaires et leurs comportements, et pourraient, à terme, être reconnus comme des espèces uniques. Les orques de type A se nourrissent principalement de petits rorquals antarctiques, ceux de type B1, de phoques, et ceux de type B2 mangent des poissons et des manchots. Les études suggèrent que les orques de type B2 sont endémiques. L’habitat de ces grands prédateurs a été représenté sur cette carte à partir de photographies et du suivi modélisé d’orques munis de balises satellites.
Bibliographie
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