Les communautés insulaires cultivent une gestion avisée des océans 2018

Le savoir traditionnel et l’héritage culturel ouvrent des perspectives uniques

Navigate to:

Les communautés insulaires cultivent une gestion avisée des océans 2018
The Pew Charitable Trusts

Cette fiche d’information a été mise à jour le 7 juillet 2020 et se trouve ici.

En bref

Les communautés insulaires du monde entier sont fortement liées aux océans. Les mers relient les individus à leur famille et à leurs voisins, assurent leur subsistance, sont un moteur de l’économie, et constituent une source d’inspiration pour l’art et les valeurs culturelles.

Les communautés insulaires trouvent traditionnellement une nourriture abondante dans des océans généreux. Cependant, ces peuples sont confrontés à de nouveaux défis, car les activités humaines non durables à travers le monde ont des conséquences néfastes, tant sur la santé des océans que sur les stocks de poissons. Par exemple, le pourcentage des stocks de poissons faisant l’objet d’une pêche non durable d’un point de vue biologique a triplé entre 1974 et 2015.1 Les déchets marins polluent des zones gigantesques, et les émissions de dioxyde de carbone réchauffent et acidifient les océans de la planète.2 Les populations de certaines espèces de prédateurs se trouvant au sommet de la chaîne trophique ont diminué de plus de 90 %.3

Aujourd’hui, les communautés insulaires, en particulier celles de l’océan Pacifique, associent savoir traditionnel et science afin de développer des stratégies innovantes pour protéger les océans, tout en renforçant leurs moyens de subsistance locaux et en préservant des pratiques ancestrales.

L’île de Pâques est célèbre dans le monde entier pour ses moaïs colossaux, monuments emblématiques de la richesse culturelle Rapa Nui. Photo por The Pew Charitable Trusts.

Stratégies de conservation autochtones

Le savoir et les pratiques traditionnels transmis de génération en génération sont de plus en plus pris en compte dans les décisions liées à la gestion marine moderne, en complément des données et des recommandations scientifiques.

Plusieurs îles et cultures du Pacifique partagent la même conception de la conservation, qui consiste à placer certaines zones sous protection et à restreindre leur exploitation. Cette approche, qui existe depuis parfois plusieurs siècles, porte différents noms et s’exprime par des pratiques culturelles diverses. Dans les Palaos, elle est appelée bul, tandis que dans les cultures polynésiennes, elle est nommée rahui ou lahui. Dans d’autres régions, cette pratique est connue sous des noms différents : tapu, tabu, tambu, mo, meshung ou encore sil.

Ces protections peuvent être mises en place de façon permanente ou temporaire, le temps de rétablir l’écosystème. Elles sont parfois imposées dans des zones considérées comme sacrées ou pour des raisons culturelles, ainsi que dans les zones visiblement détériorées par l’activité humaine. 

Le bul, ou rahui, ressemble ainsi fortement aux aires marines protégées (AMP) modernes, un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature.4 Même si la mise en place de ces aires protégées diffère aux niveaux locaux et nationaux, les approches adoptées sont fondamentalement similaires. Par exemple :

  • Les Palaos ont mis en œuvre un bul moderne qui privilégie l’environnement marin. Les chefs des différentes îles de l’archipel du Pacifique agissent depuis des siècles en faveur de la protection des eaux locales, qui constituent une source de nourriture essentielle, permettent les échanges commerciaux et assurent des revenus. Ils ont mis en place le bul traditionnel, un moratoire sur la pêche d’espèces clés ou dans des récifs spécifiques, après avoir constaté les effets négatifs de la surpêche. En 2015, cette tradition a été appliquée pour la première fois à des zones hauturières par le président Tommy Remengesau, qui a créé le sanctuaire national marin des Palaos. La zone protégée couvre 80 % de la zone économique exclusive du pays, soit une surface aussi vaste que l’Espagne.
  • Papahānaumokuākea constitue un modèle de conservation mondiale. Le monument national marin de Papahānaumokuākea, dans les îles du Nord-Ouest d’Hawaï, est l’une des plus vastes AMP au monde. Il est d’une importance majeure non seulement sur le plan culturel, mais également écologique. Créée en 2006 par le gouvernement des États-Unis, la zone est gérée en s’appuyant sur le savoir et les traditions culturels, la science et une politique moderne, afin de protéger les ressources naturelles, ainsi que la culture.5
  • Rapa Nui perpétue la culture indigène. La communauté Rapa Nui de l’île de Pâques a collaboré avec le gouvernement chilien pour créer en 2018 une vaste AMP dans laquelle les activités de pêche modernes sont proscrites et la pêche traditionnelle est préservée. La protection de ces eaux foisonnantes permetà la communauté locale de renforcer ses liens avec l’environnement naturel et de renouer avec la navigation traditionnelle.6
Les canoës traditionnels à double coque Hōkūle’a (à gauche) et Hikianalia ont sillonné le globe pendant quatre ans : ils ont pris le large en 2013 à l’initiative de la Polynesian Voyaging Society afin de promouvoir une gestion durable de la nature. Photo por The Pew Charitable Trusts.

Island voices

Dans le cadre des travaux pour la création d’un réseau de vastes AMP, le projet Héritage des océans de Pew et Bertarelli réunit des artistes, des enseignants, des pêcheurs, d’anciens fonctionnaires gouvernementaux et des navigateurs de différentes régions et cultures, qui partagent le même intérêt pour la protection de l’identité unique de leurs communautés insulaires du Pacifique. Ce groupe communautaire porte le nom d’Island Voices.

Ses membres conseillent l’équipe du projet Héritage des océans qui œuvre avec les petites communautés insulaires à la création d’AMP. Les ambassadeurs du groupe Island Voices sont originaires des îles Palaos, de l’île de Guam, des îles Mariannes du Nord, d’Hawaï, de Nouvelle-Zélande, d’Australie, de Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de l’île de Pâques. Le groupe collabore au maintien de l’équilibre des océans et facilite l’établissement de relations durables, ainsi que le partage des connaissances.

Conclusion

Les océans appartiennent à tous, et les populations du monde entier doivent se mobiliser afin de les protéger pour les générations futures. Depuis des siècles, les communautés insulaires traditionnelles ont développé des moyens simples, mais efficaces, de protéger et de reconstituer la santé des océans en instaurant des zones protégées dont le rôle culturel est primordial. D’autres populations peuvent tirer les leçons de leur expérience et agir dans le respect de leur culture, tout en s’appuyant sur la science, pour mettre en place de vastes AMP entièrement protégées. Ces aires apportent des bénéfices tangibles en matière de protection, assurent une croissance à long terme des économies locales, contribuent à la reconstitution des pêcheries voisines par un effet de débordement, et perpétuent des traditions culturelles uniques et variées, intrinsèquement liées à la mer.

Notes

  1. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, “The State of World Fisheries and Aquaculture: Meeting the Sustainable Development Goals” (2018), http://www.fao.org/documents/card/en/c/I9540EN.
  2. Ove Hoegh-Guldberg et al., “The Ocean”, in Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability—Part B: Regional Aspects, Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, éd. Vicente R. Barros et al. (New York: Cambridge University Press, 2014), 1655-1731, https://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg2/WGIIAR5-
  3. Comité scientifique international pour le thon et les espèces assimilées de l’Océan pacifique nord, “2016 Pacific Bluefin Tuna Stock Assessment, Executive Summary” (2016), https://www.iattc.org/Meetings/Meetings2016/SAC-07/PDFs/OTH-INF/_English/SAC07-INF-C(a)_ISC-Pacific-Bluefin-Tuna-Stock-Assessment-Executive-Summary.pdf; Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, “Consideration of Proposals for Amendment of Appendices I and II” (2013), https://www.cites.org/sites/default/files/eng/cop/16/prop/E-CoP16-Prop-17.pdf.
  4. Union internationale pour la conservation de la nature et Commission mondiale des aires protégées, “Applying IUCN’s Global Conservation Standards to Marine Protected Areas (MPA)”, consulté le 16 juillet 2018, https://www.iucn.org/sites/dev/files/content/documents/applying_mpa_global_standards_final_version_050418.pdf.
  5. Kekuewa Kikiloi et al., “Papahānaumokuākea: Integrating Culture in the Design and Management of One of the World’s Largest Marine Protected Areas”, Coastal Management 45, no 6 (2017): 436-51, http://dx.doi.org/doi:10.1080/08920753.2017.1373450.
  6. Fiona R. Gell et Callum M. Roberts, “Benefits Beyond Boundaries: The Fishery Effects of Marine Reserves”, Trends in Ecology &Evolution 18, no 9 (2003): 448-55, http://dx.doi.org/doi:10.1016/S0169-5347(03)00189-7; Hugo B. Harrison et al., “Larval Export From Marine Reserves and the Recruitment Benefit for Fish and Fisheries”, Current Biology 22, no 11 (2012): 1023-28, http://dx.doi.org/doi:10.1016/j.cub.2012.04.008.