Les stocks de thonidés de l'Atlantique peuvent se reconstituer si les politiques se fondent sur des données scientifiques
Les réunions de juin sont pour la CICTA l'opportunité de renforcer son leadership pour le soutien de stocks sains de poissons.
Aux yeux des États membres de la CICTA, le thon rouge de l'Atlantique est une manne financière de plusieurs millions de dollars par an.
© Manfred Bortoli
À l'occasion de la Journée de la Terre en avril, des marches ont été organisées dans plus de 600 villes à travers le monde, où des millions de militants appelaient à ce que les données scientifiques servent de lignes directrices aux politiques, afin de créer un avenir durable. Cet appel à se fonder les recommandations scientifiques vaut pour la gestion de la pêche, qui a souvent fait passer le gain économique ou politique à court terme avant la santé des espèces prisées et le secteur de la pêche qui en dépend à long terme.
Prenons l'exemple de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA), plus connue sous l'appellation ICCAT (International Commission for the conservation of Atlantic Tunas), qui est responsable de la gestion d'environ 30 stocks de poissons, dont des thonidés représentant approximativement une valeur de 4,5 milliards de dollars chaque année. À plusieurs reprises, cette organisation a fait fi des avis des scientifiques pour éviter de prendre des décisions susceptibles de faire naître des controverses politiques. Cette approche a conduit à la surpêche de plusieurs stocks d'espèces prisées, notamment l'emblématique thon rouge de l'Est.
Par chance, après une évaluation critique des performances commanditée auprès d'une entité indépendante en 2008, la CICTA a commencé à suivre plus attentivement les avis des scientifiques. Cette tendance a contribué à la reconstitution des stocks de l'espadon de l'Atlantique Nord et à la croissance spectaculaire de la population de thons rouges dans l'Atlantique Est et la Méditerranée. Toutefois, malgré le bon fonctionnement évident de cette gestion fondée sur des données scientifiques, il est arrivé à la Commission, ces dernières années, de reprendre ses vieilles habitudes.
Ce mois-ci, les responsables de la CICTA rencontreront des scientifiques à Madrid dans le cadre d'une série de réunions. Peut-être cet événement sera l'occasion de définir enfin clairement le rôle de la science dans la prise de décision de la CICTA et d'aider la Commission à développer une approche de précaution en vue d'une gestion de la pêche à long terme.
Tendances observées dans la gestion : stocks surexploités, reconstitution fondée sur des données scientifiques et non-respect des recommandations
Les 27 et 28 juin, un groupe de travail discutera d'un plan d'action en réponse à la seconde évaluation des performances de la CICTA, menée en 2016 par une entité indépendante. Faisant suite à l'évaluation accablante de 2008, la version mise à jour de l'année dernière a indiqué que la CICTA a réalisé de nets progrès dans certains domaines, mais qu'elle doit d'urgence prendre encore d'autres mesures.
Ce diagramme démontre qu'à partir du moment où la CICTA suit les avis scientifiques (années apparaissant en blanc), les stocks peuvent se reconstituer.
© The Pew Charitable Trusts
Les stocks de thons rouges de l'Est ont finalement montré des signes de reconstitution dès l'adoption par la CICTA de la gestion fondée sur les données scientifiques. En revanche, l'évaluation estime que la Commission n'a pas fait preuve d'autant de rigueur dans la gestion des autres stocks, comme le thon obèse et l'espadon méditerranéen, qui se portent assez mal en conséquence. Par exemple, bien que l'espadon méditerranéen ne soit qu'à 12 % de l'indice d'abondance ciblé, la CICTA a attendu 14 ans avant de prendre des mesures pour protéger ce stock. Lorsqu'enfin elle a pris des mesures en novembre 2016, soit juste après l'évaluation indépendante soulignant l'« état non satisfaisant du stock », la Commission a encore défini une limite de capture de 50 % supérieure au niveau préconisé par les scientifiques.
Parallèlement, après que l'évaluation a félicité la CICTA pour ses progrès dans la gestion des stocks de thons rouges de l'Est, à nouveau, la Commission a approuvé la définition de quotas supérieurs au niveau préconisé par les scientifiques. Ces décisions n'ont pas été les seules allant à l'encontre des recommandations. Entre 2015 et 2016, les responsables ont suivi les avis des scientifiques dans seulement 43 % des cas, contre 88 % sur la période 2009-2014, une baisse brutale nuisant à la gestion suivant le principe de précaution.
La première réunion du groupe de travail pour l'évaluation des performances de la CICTA est une belle occasion pour les parties de se réengager envers une gestion proactive fondée sur les données scientifiques, et de montrer leur sérieuse volonté de reconstituer les stocks surexploités et de préserver ceux qui sont sains.
Les réunions de juin constituent un premier pas important, preuve de l'engagement de la CICTA envers une gestion optimisée des stocks clés en Atlantique.
Les 29 et 30 juin, les responsables de la CICTA et des scientifiques se réuniront pour établir une feuille de route concernant les stratégies de pêche pour les stocks de poissons prioritaires, notamment le thon rouge de l'Atlantique et les thons tropicaux. Dans le cadre des stratégies de pêche, les responsables se sont préalablement mis d'accord sur une certaine gestion en réponse à l'évolution de l'état des stocks, plutôt que de négocier ces ajustements à huis clos après la publication d'une évaluation des stocks. Cette approche a l'avantage, entre autres, d'éviter le problème actuel d'une gestion « faisant le yoyo », où les responsables réduisent drastiquement les quotas face au risque d'effondrement des stocks, puis les augmentent rapidement dès les premiers signes de croissance. Comme les stratégies de pêche exigent des responsables qu'ils définissent des objectifs de gestion, des règles et des réponses à l'avance, cette méthode améliore l'efficacité, la transparence et la prévisibilité de la prise de décision, un point positif pour les responsables, les poissons et le secteur de la pêche.
La CICTA a approuvé l'initiative louable d'adopter des stratégies de pêche pour huit stocks prioritaires d'ici 2020 : celle relative au germon du nord devant être validée cette année, celle pour le thon rouge de l'Atlantique en 2018, celle pour l'espadon de l'Atlantique Nord en 2019 et celle pour les thons tropicaux en 2020. Pour que la CICTA puisse respecter les délais, les responsables et scientifiques à la prochaine réunion devront émettre des recommandations sur la stratégie de pêche pour le germon et proposer des objectifs de gestion préliminaires pour le thon rouge de l'Atlantique, en vue de l'adoption par toute la Commission en novembre.
La réunion de novembre est pour la CICTA l'opportunité d'entériner son engagement
Les réunions de juin permettront d'effectuer les grands préparatifs pour la réunion annuelle de la CICTA, qui aura lieu du 13 au 21 novembre à Marrakech (Maroc), lors de laquelle la Commission définira des quotas de capture et poursuivra ses progrès dans la mise en œuvre des stratégies de pêche relatives au thon rouge de l'Atlantique et à d'autres stocks clés. Reste à espérer que les responsables et les scientifiques tireront les leçons du passé aux sessions de juin. En adoptant la gestion fondée sur les données scientifiques et en révisant les stratégies de pêche, la CICTA peut conforter sa stature de chef de file dans la gestion de la pêche régionale et envoyer un signal fort à tous ceux qui plaident en faveur d'une politique établie sur les faits : l'organisation s'en remettra à la science pour garantir une pêche durable sur le long terme.
Amanda Nickson est responsable de la préservation du thon au niveau mondial pour The Pew Charitable Trusts.