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Enseignements tirés de la mise en œuvre de la Politique commune de la pêche de l’Union européenne
Les résultats mitigés obtenus montrent que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour une gestion plus saine
Enseignements tirés de la mise en œuvre de la Politique commune de la pêche de l’Union européenne
Introduction
Dans le cadre de la Politique commune de la pêche (PCP) de l’Union européenne (UE), 2020 devait marquer un tournant dans la gestion des pêcheries, avec la mise en place de taux d’exploitation durables pour l’ensemble des stocks. L’Europe a certes fait des progrès en ce sens, mais elle n’est pas parvenue à atteindre cet objectif.
Tout a commencé en 2013. Après des décennies de surpêche et de politiques inefficaces, le Parlement européen et les gouvernements des 28 États alors membres de l’Union européenne ont convenu qu’il était temps de réformer en profondeur la Politique commune de la pêche (PCP)1. Cette réforme prévoyait la mise en place de limites de capture durables devant permettre de reconstituer les stocks, préserver la santé des écosystèmes et garantir la stabilité et la rentabilité à long terme des pêcheries pour la flotte de l’UE. La PCP revue et corrigée est entrée en vigueur l’année suivante, en 2014, et cherchait avant tout à réduire la pression de la pêche au niveau recommandé par les scientifiques. Elle imposait aux ministres de la Pêche de fixer des taux d’exploitation durable des stocks « d’ici 2015 lorsque cela est possible et, pour tous les stocks, progressivement et par paliers en 2020 au plus tard ».
La date butoir de 2020 étant aujourd’hui passée, nous pouvons affirmer que ces réformes ont été source de progrès. Cependant, les données montrent que les décideurs fixent toujours un trop grand nombre de limites de capture au-delà des niveaux recommandés par les scientifiques et qu’ils suivent une politique court-termiste moins ambitieuse que prévu.
En 2008, The Pew Charitable Trusts s’est associé à 192 autres organisations au sein de la coalition OCEAN2012 pour s’assurer que la réforme de la PCP intègre des objectifs à la fois ambitieux, réalistes et basés sur les données scientifiques. Dans les années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la réforme, Pew et d’autres groupes ont poussé les décideurs à prendre leurs responsabilités pour mettre fin à la surpêche dans les eaux du nord-ouest de l’Europe et permettre aux stocks de retrouver des niveaux sains et productifs.
Ce rapport présente huit enseignements essentiels tirés de nos travaux d’accompagnement de la mise en œuvre de la PCP, ainsi qu’une analyse approfondie d’une problématique liée à chacune d’elle. Notre expérience a révélé les points suivants :
Une bonne gestion est efficace. Comme le montre l’expérience des gestionnaires du monde entier, les mesures prises pour préserver la durabilité des stocks et des pêcheries donnent des résultats positifs sur les plans environnemental, économique et social.
La baisse des ambitions depuis 2013 a empêché la mise en œuvre de la PCP dans son intégralité. Les décideurs se sont attelés à la mise en œuvre des principaux piliers de la PCP avec pragmatisme. Trop souvent, ils ont fait preuve d’une volonté politique insuffisante pour obtenir les résultats prévus. Presque dès le départ, les parties prenantes et institutions de l’Union européenne ont ainsi revu leurs attentes à la baisse.
Les décisions ont plus souvent favorisé le statu quo que le changement des comportements. Malgré les objectifs ambitieux de la PCP, qui devaient changer la situation des océans, les décideurs se sont souvent contentés d’adapter les mesures aux habitudes de pêche en place, sans véritablement chercher à atteindre les objectifs.
La prise de décisions au sein de l’UE reste compartimentée. Les processus liés aux politiques de pêche suivent souvent une logique interne propre. Ainsi, l’intérêt pour le rendement des pêcheries et les résultats économiques peut passer outre d’autres priorités, comme le besoin urgent d’honorer des exigences et engagements plus larges de l’UE en faveur de l’environnement.
Le court-termisme reste très présent au sein de l’UE. Le long terme, explicitement visé par la PCP de 2014, a souvent été mis de côté au profit de décisions politiques immédiates. Par exemple, les ministres de la Pêche ont continué à fixer des limites de capture excessives en arguant qu’il s’agissait de « compromis » entre des objectifs à court et long termes, ou qu’elles étaient nécessaires pour d’obscures raisons économiques.
La transparence sur les progrès effectués est souvent limitée par des rapports flous et incohérents. Plutôt que de mesurer les progrès par rapport aux objectifs de la PCP, les rapports officiels s’appuient fréquemment sur des critères non pertinents ou variables, comme des comparaisons de tendances, le plus souvent sans lien avec les objectifs officiels de la PCP. Cette méthode empêche le public de comprendre les progrès réalisés et conduit les parties prenantes à choisir des priorités différentes.
Un processus décisionnel opaque nuit aux progrès. L’absence de communication à destination du public sur les bases scientifiques des propositions de la Commission européenne en matière de mesures de gestion (limites de capture, par exemple) et sur les justifications des décisions prises par les législateurs a trop souvent empêché les parties prenantes et les institutions de l’UE d’analyser le processus de prise de décisions, qui n’inspire désormais plus confiance.
Les stocks partagés avec des pays hors UE complexifient le respect des objectifs de la PCP. Les décisions liées aux stocks gérés conjointement sont plus complexes que celles concernant les stocks dont la gestion est assurée par une seule entité. Il est ainsi nécessaire de renforcer la collaboration, en particulier maintenant que le Royaume-Uni a quitté l’UE.
Pour atteindre les ambitions des législateurs présentées en 2013, les décideurs de l’Union européenne doivent prendre les dernières mesures nécessaires à l’entrée en vigueur de la PCP dans son intégralité. La santé des écosystèmes marins, des pêcheries européennes et des communautés qui en dépendent est suspendue à l’adoption des approches de gestion durables et basées sur les écosystèmes prévues par la politique, sans exception ni échappatoire. Les résultats de notre analyse des progrès réalisés pourront aider les décideurs et parties prenantes à orienter leurs efforts pour parvenir à une application totale de la PCP et à définir les priorités futures des pêcheries européennes.
Résumé de la Politique commune de la pêche
La réforme de la PCP approuvée par les décideurs de l’Union européenne en 2013 est entrée en vigueur l’année suivante et prévoyait de nouvelles règles de conservation des stocks de poissons et de gestion des flottes de pêche européenne. Le règlement de base de la PCP2, adopté par le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen, présente toute une série d’objectifs dans son Article 2 et des principes de bonne gouvernance dans son Article 3.
Pour résumer, l’Article 2 explique que les activités de pêche doivent :
s’inscrire dans un cadre de durabilité environnementale ;
être gérées de sorte à générer un impact positif sur les plans économique, social et de l’emploi, mais aussi à contribuer à l’approvisionnement en denrées alimentaires.
Les objectifs et principes définis dans les articles 2 et 3 de la PCP peuvent être regroupés en cinq catégories :
Règles de gestion, critères et points de référence des pêcheries, notamment :
Application de l’approche de précaution dans la gestion du risque (voir l’encadré 1)
Utilisation de points de référence liés au rendement maximal durable (RMD) (voir l’encadré 2) pour imposer que :
la biomasse des stocks de l’ensemble des espèces pêchées soit restaurée et maintenue au-dessus des niveaux permettant d’atteindre le RMD ;
les totaux admissibles de captures (TAC) soient définis en fonction des RMD d’ici 2015 lorsque cela est possible, et au plus tard d’ici 2020 pour tous les stocks ;
les mesures de gestion soient définies en fonction des meilleures recommandations scientifiques disponibles.
Objectifs environnementaux plus larges, par exemple :
Une approche écosystémique de la gestion des pêches
Nécessité de se conformer aux autres lois environnementales de l’UE, et en particulier à l’objectif 2020 de bon état écologique3
Objectifs socio-économiques plus larges, par exemple :
Mise en place des conditions permettant une pêche et un traitement des produits de la mer concurrentiels et économiquement viables
Contribution à un niveau de vie juste pour les personnes dépendant d’activités de pêche
Promotion des pêcheries côtières « en tenant compte des facteurs socio-économiques »
Règles sur l’obligation de débarquement pour éliminer le rejet de poissons à la mer, réduire les captures indésirables et s’assurer peu à peu que toutes les captures sont rapportées à terre. Cette approche impose aux pêcheurs de rapporter leurs captures à terre dans la plupart des cas et d’intégrer ces captures à leurs quotas.
Objectifs politiques généraux, par exemple :
Nécessité de disposer d’une perspective sur le long terme et d’une approche régionalisée pour limiter la prise de décisions descendante
Implication appropriée des parties prenantes, en particulier par le biais de conseils consultatifs établis pour certains secteurs ou régions et permettant aux parties prenantes de formuler des recommandations de gestion à la Commission et aux gouvernements des États membres
Approche tenant compte des intérêts des consommateurs et des producteurs de poissons
Encadré 1 : L’approche de précaution
L’approche de précaution est un concept de gestion environnementale reconnu dans le monde entier. Son principe : prendre certaines mesures lorsque les données sont limitées. L’Article 6.2 de l’Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons la définit comme une approche selon laquelle « le manque de données scientifiques adéquates ne saurait être invoqué pour ne pas prendre de mesures de conservation et de gestion ou pour en différer l’adoption4 ».
Encadré 2 : Le rendement maximal durable (RMD)
Le rendement maximal durable (RMD) correspond à la quantité de poissons maximale pouvant en théorie être prélevée sur un stock sans affecter sa taille à long terme5. La gestion des stocks de poissons par rapport aux RMD constitue un point central de la PCP.
Enseignements tirés
À l’issue d’un long processus législatif ayant finalement abouti en 2013, les décideurs de l’UE ont convenu d’objectifs ambitieux et d’actions concrètes. Leur mesure phare : assurer des niveaux de pêche durables pour l’ensemble des stocks en 2020. Depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle politique, il y a sept ans, l’UE a accompli d’importants progrès dans certains domaines. Pour autant, il reste beaucoup à faire, notamment pour parvenir à fixer des limites de capture qui respectent toutes les niveaux recommandés par les meilleurs avis scientifiques disponibles.
Divers facteurs ont influé sur l’application de la politique au fil des ans, certains relevant de la procédure, d’autres de la réalité pratique et d’autres enfin de la seule volonté politique. Ces huit enseignements reprennent l’ensemble de ces problématiques. Nous allons détailler chacune d’elles dans les sections ci-dessous, en les accompagnant d’une étude de cas ou d’une analyse approfondie.
1. Une bonne gestion est efficace
Les mesures basées sur les recommandations des scientifiques prises pour préserver la durabilité des stocks et des pêcheries en Europe donnent des résultats positifs. Les gestionnaires de pêcheries du monde entier ayant mis en place de telles mesures ces dernières années constatent eux aussi ces avantages. Là où la surpêche a pu être éliminée, les stocks se sont reconstitués rapidement. Par exemple, les stocks de plies en mer du Nord ont atteint des niveaux durables en 2020 après une décennie d’exploitation prudente6. Une meilleure gestion a permis d’augmenter les rendements, et l’industrie de la pêche dans son ensemble a pu générer des bénéfices record7. Ces tendances constituent des preuves claires de l’intérêt d’une amélioration continue : les décisions prises en tenant compte des recommandations scientifiques aboutissent à des résultats positifs.
Bien que des progrès aient été réalisés depuis 2013, ils ont été globalement trop timides pour permettre d’atteindre les objectifs de la PCP. Les dates butoirs de 2015 et 2020 prévues par l’Article 2 pour la mise en place de taux d’exploitation basés sur le RMD n’ont pas été respectées pour l’ensemble des stocks, comme l’exigeait pourtant la réforme (voir Figure 1). L’incapacité à tenir la date butoir inscrite dans la législation, en dépit d’une amélioration des tendances, marque l’échec cuisant de la mise en œuvre de la PCP actuelle, rappelle les problèmes de ses versions antérieures8 et risque de compromettre la crédibilité des engagements politiques futurs.
Analyse approfondie : réduction de la pression de la pêche
Globalement, l’UE a réduit la pression de la pêche depuis la réforme de sa politique de pêche en 20139. Bien que de nombreuses limites de capture restent au-delà des préconisations des scientifiques, elles s’en sont en moyenne rapprochées. Ainsi, d’après un rapport officiel publié en 2020 par le Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP), la proportion des stocks évalués soumis à une pression supérieure au critère légal est passée de 52 % en 2013 à 38 % en 201810 (voir Figure 1). Ce comité apporte son expertise technique à la Commission pour toutes les problématiques en lien avec la pêche.
Ce succès est dû à l’intégration dans la PCP de cibles précises en lien avec la biomasse et d’exigences relatives à la pression de la pêche associées à des dates butoirs spécifiques. En 2020, la Commission, qui est responsable de la proposition des lois et de la supervision de leur mise en œuvre, expliquait ainsi que « plus de 99 % des débarquements en mer Baltique, en mer du Nord et dans l’Atlantique gérés exclusivement par l’Union devraient provenir de pêcheries gérées de manière durable11 ».
Il s’agit certes d’une avancée positive, mais l’évaluation des progrès pour un sous-ensemble des stocks de l’UE et par le prisme du nombre de tonnes pêchées ne donne qu’une vision partielle de la situation. En effet, une telle approche ne tient pas compte des stocks pour lesquels les données sont limitées (et donc pour lesquels les RMD ne sont pas connus) et exclut quelques stocks importants (comme le maquereau et le merlan bleu), qui sont partagés avec des pays voisins de l’UE sans en être membres, comme l’Islande et la Norvège.
La PCP impose en particulier la mise en place de taux d’exploitation durables pour l’ensemble des stocks et pas seulement pour ceux dont la pêche représente des volumes importants. Cette précision est essentielle, car la taille d’un stock n’a pas nécessairement de lien avec son importance pour la biodiversité. Les 99 % brandis sont donc atteints grâce à un petit nombre de stocks représentant des populations importantes et bien gérées, mais cachent une gestion inappropriée de nombreux stocks qui, bien que moins importants en volumes restent essentiels pour les écosystèmes. La mesure des progrès sur la base des stocks révèle une situation moins positive (voir Figure 112).
En dépit de ces réserves, nous devons reconnaître que l’amélioration de la gestion a eu des conséquences socio-économiques positives. La Commission13 et le CSTEP ont confirmé en 2020 que la flotte européenne avait « globalement, enregistré des bénéfices nets record14 ». La baisse des coûts opérationnels et la reconstitution de certains stocks semblent être les moteurs de cette tendance, mais la Commission note également que les « flottes ciblant des stocks surexploités ont généralement enregistré des performances économiques plus faibles15 ». Cette conclusion n’a rien de surprenant : les stocks concernés n’ont pas eu le temps de se remettre d’années de surpêche.
Ces améliorations globales masquent toutefois deux tendances sous-jacentes : la réduction du nombre d’emplois (« l’emploi total dans la flotte de l’Union, en équivalents temps plein [ETP], diminue en moyenne de 1,2 % par an depuis 2008, en partie à cause de la réduction de la capacité de la flotte16 ») et la variation de la rentabilité entre les différents segments des flottes (catégories de techniques de pêche ou de longueurs de navire), avec notamment des bénéfices moins importants pour les petites flottes17.
2. La baisse des ambitions depuis 2013 a empêché la mise en œuvre de la PCP dans son intégralité.
Après avoir conclu une réforme ambitieuse de la PCP en 2013, les institutions de l’UE se sont intéressées de façon moins volontaire à sa mise en œuvre. L’application des changements s’est heurtée au lobbying mené tambour battant par diverses parties prenantes, notamment par le secteur de la pêche, et à ce qui a souvent ressemblé à une volonté politique amoindrie de voir les réformes aboutir. Les décideurs ont choisi à plusieurs reprises d’interpréter les dispositions légales de la PCP de sorte à en affaiblir la portée et à l’adapter au statu quo plutôt que de pousser aux changements comportementaux nécessaires.
Les propositions de la Commission concernant les limites de capture annuelles et la législation à plus long terme, comme les plans pluriannuels, ont eu tendance à anticiper les ambitions revues à la baisse du Conseil en ne respectant pas les exigences de la PCP. Le Conseil, composé des représentants des 27 États membres, vote les lois avec le Parlement européen. Dans le cas des limites de pêche, il est même le seul décideur. Trop souvent, la Commission, initiatrice du processus législatif, semblait formuler des propositions conçues pour être dénaturées par le Conseil. C’est ainsi que des limites de capture supérieures aux recommandations scientifiques et des exemptions ralentissant les évolutions des comportements de pêche ont été validées. Cette ambition revue à la baisse transparaît dans les rapports de la Commission sur les progrès réalisés (voir l’enseignement n° 6), qui ont régulièrement utilisé des critères inférieurs à ceux de la PCP pour juger de la réussite de sa mise en œuvre.
La capacité du Conseil à fixer les limites de capture a également souvent nui au respect des objectifs de la PCP (voir l’enseignement n° 5). Les objectifs de reconstitution des stocks n’ont que peu de chances d’être atteints si des taux d’exploitation excessifs persistent, voire si la pression de pêche est maintenue au niveau maximal conseillé par les scientifiques. En effet, une telle approche ne laisse que peu de place à l’incertitude et à l’erreur.
Tout au long des sept années de la mise en œuvre de la PCP, le Conseil a généralement opté pour les limites de capture maximales conseillées par les scientifiques ou des limites supérieures. Seuls quelques stocks ont pu bénéficier d’une approche plus prudente. Le Conseil a ainsi continué de fixer des taux d’exploitation excessifs, et les ministres de la Pêche des États membres n’ont apporté que des ajustements minimes aux limites de capture annuelles au gré des différentes échéances.
Les membres du Parlement européen, qui votent les lois en tandem avec le Conseil, ont souvent essayé de mettre les autres institutions de l’Union face à leurs responsabilités dans la mise en œuvre de la PCP, par exemple avec les votes sur le plan pluriannuel de la mer Baltique en 2015, mais sans vouloir ou pouvoir mettre un terme à la surpêche18.
Le Parlement ne peut pas influer directement sur les limites de capture décidées chaque année, alors même que les parlementaires interviennent dans la plupart des autres processus décisionnels19. Co-législateur de la plupart des politiques de la pêche de l’UE, et notamment de la PCP, le Parlement aurait pu jouer un rôle plus actif en s’assurant que les exigences de la PCP étaient bien respectées.
Analyse approfondie : modification des critères d’évaluation
Lors de la formulation de lois relatives à la pêche et la fixation des limites de capture annuelles, les décideurs de l’UE ont souvent opté pour des critères techniques inférieurs et des prises de risque supérieures à ce que prévoyait la PCP.
Contrairement à l’approche de précaution exigée par la politique, qui impose de faire preuve de davantage de prudence dans les décisions lorsque les informations sont insuffisantes, la Commission a eu tendance à proposer (et le Conseil a souvent fixé) des limites dépassant les recommandations des scientifiques pour les stocks sur lesquels nous ne disposions que de données parcellaires ou pour lesquels aucune recommandation concernant le RMD n’était disponible20. Autre évolution inquiétante : la suppression depuis 2014 des limites de capture pour plusieurs espèces (limande, flet, phycis de fond et sabre noir21). Cette mesure a allégé les contraintes sur la pression de pêche et exempté les stocks concernés des obligations clés imposées par la PCP, notamment l’obligation de débarquement (voir l’enseignement n° 3). Dans certains cas, elle a également perturbé le recueil de données sur les captures en entraînant l’application d’exigences de signalement différentes.
Les décideurs ont également réduit les critères techniques des outils conçus pour assurer la durabilité de la pêche. L’introduction de plans pluriannuels pour les pêcheries a joué un rôle clé dans les réformes visant à promouvoir la régionalisation de la PCP et l’adoption d’une perspective à plus long terme. Tel qu’il était prévu, ce processus devait permettre d’adapter les mesures aux différentes régions sur des durées plus longues. Toutefois, plutôt que de changer de perspective et de s’assurer que les besoins de chaque région sont pris en compte, les plans pluriannuels sont trop souvent devenus des outils permettant de contourner les règles de la PCP.
Les décideurs ont ainsi prévu des exemptions tout en se gardant d’introduire les protections des écosystèmes que ces plans sont pourtant censés inclure. Une fois entrés en vigueur, ces plans peu ambitieux ont été considérés comme équivalents à la PCP dans les décisions pratiques quotidiennes, ce qui revenait à amender la PCP. Les législateurs ont ainsi discrètement revu leurs ambitions à la baisse, quelques années seulement après les avoir eux-mêmes vantées en 2013.
Plutôt que de considérer le taux d’exploitation basé sur le RMD comme une limite supérieure, le Conseil et le Parlement ont fait en sorte que les plans pluriannuels incluent des « fourchettes » autour de ce taux, fourchettes qui comprennent notamment des niveaux dépassant le taux d’exploitation maximal compatible avec ce rendement. Trop souvent, les négociateurs des plans pluriannuels initiaux ont ignoré les alertes des scientifiques concernant les estimations basées sur des fourchettes22, une approche plus risquée et moins productive. Pourtant, cette stratégie est devenue la norme dans l’ensemble des régions, tout comme les échappatoires prévues dans les plans suivants, par exemple les exemptions de respect du RMD pour certains « stocks de captures accessoires23 ».
En 2019, Pew et d’autres organisations non gouvernementales (ONG)24 ont analysé le plan pluriannuel de la mer Baltique, le premier adopté par le Conseil et le Parlement, et ont montré comment les objectifs de la PCP avaient été revus à la baisse, ainsi que les conséquences de ce manque d’ambition sur les plans suivants25. En dépit des réticences de certains parlementaires, la chambre a fini par valider la vision du Conseil à chaque fois, après avoir obtenu des améliorations importantes, mais limitées. Par conséquent, chaque plan pluriannuel introduisait de nouvelles subtilités qui rendaient toujours plus difficile l’atteinte des objectifs de la PCP.
Bien souvent, les mesures détaillées que ces plans devaient contenir, taillées pour les spécificités de chaque pêcherie et région, ont été omises ou oubliées au cours du processus. Les mesures restantes étaient davantage axées sur la possibilité d’accroître la pression de la pêche que sur ce qui aurait dû être la priorité absolue : la mise en place de limites de capture durables devant permettre de reconstituer les stocks, préserver la santé des écosystèmes et garantir la stabilité et la rentabilité à long terme des pêcheries pour la flotte de l’UE. Cette approche a eu des conséquences dommageables sur les océans, a favorisé le maintien des pratiques de pêche en vigueur et a conduit à fixer des limites de pêche mettant en danger la pérennité des stocks. Elle a de plus formé un précédent dangereux pour les plans pluriannuels qui ont suivi et éteint les ambitions globales en matière de gestion des pêcheries26.
3. Les décisions ont plus souvent favorisé le statu quo que le changement des comportements.
Les décideurs souhaitaient à l’origine que les réformes convenues en 2013 transforment la gestion des pêcheries européennes et les comportements de pêche, pour plus de durabilité et de rentabilité. Bien que la réduction de la mortalité des poissons ait dans de nombreux cas permis de tendre vers ce but, les décisions ont trop souvent été façonnées de sorte à préserver le statu quo.
Au niveau européen, les ministres du Conseil continuent de considérer les recommandations scientifiques sur les limites de capture et les propositions de la Commission comme le point de départ de négociations visant à maximiser les quotas que les États qu’ils représentent peuvent décrocher pour leurs flottes à court terme. Lorsque les réformes ont eu un impact sur les océans, sur la réduction de la pression de la pêche ou le recours à des pratiques limitant le gaspillage, les décideurs ont souvent cherché des échappatoires pour préserver le statu quo. Ils ont notamment introduit de nouvelles dispositions permettant la capture accessoire de stocks épuisés à des niveaux bien supérieurs aux recommandations scientifiques en réinterprétant les exigences légales de sorte à pouvoir définir des fourchettes flexibles, voire en supprimant complètement des limites de capture. Ces résultats ont nui à la mise en œuvre des réformes et des protections, et ont entraîné des conséquences inattendues.
À l’échelle nationale, l’attribution des quotas tend à renforcer les modèles de pêche existants plutôt qu’à favoriser de nouvelles pratiques plus durables. Dans une large mesure, ces tendances reflètent les politiques et décisions commerciales nationales. Certaines exigences essentielles de la PCP qui pourraient avoir un impact sur ces tendances socio-économiques n’ont jusque-là pas été suffisamment mises en œuvre. Par exemple, l’Article 17 impose le recours à des critères environnementaux, sociaux et économiques transparents pour l’attribution des opportunités de pêche au sein des États membres et autorise la mise en place d’incitations en faveur des pratiques de pêche ayant un impact moindre sur l’environnement. Pour autant, le processus décisionnel reste loin d’être transparent, aux dépens des critères sociaux et environnementaux27. Il s’agit d’un véritable échec des gouvernements européens, qui se sont montrés incapables d’agir à l’échelle nationale après avoir convenu de ces réformes au niveau européen et inclus cette exigence dans la PCP.
Étude de cas : mise en œuvre limitée de l’obligation de débarquement
L’obligation de débarquement « impose que toutes les captures à bord appartenant à des espèces commercialement régulées soient débarquées et imputées sur les quotas28 ». Les décideurs ont fait de cette obligation une évolution pivot et ambitieuse par rapport à la PCP précédente, qui devait influer sur la moindre facette de la mise en œuvre de la politique.
Lorsque la PCP précédente était en vigueur, les pêcheurs rejetaient souvent à la mer les poissons indésirables, morts ou vifs, pour diverses raisons réglementaires ou économiques. Parfois, ils rejetaient les petits poissons, moins intéressants sur le plan économique, d’espèces pour lesquelles ils étaient soumis à des quotas. Leur espoir ? Attraper par la suite des poissons de la même espèce, mais plus grands et donc plus lucratifs, afin d’optimiser la valeur de leur quota. Dans d’autres cas, les pêcheurs qui avaient déjà dépassé leur quota pour une espèce rejetaient les poissons de cette espèce pêchés par erreur.
Les règles actuelles de débarquement ont pour objectif de réduire au maximum les captures involontaires et la quantité de poissons rejetés par les navires. Les décideurs ont clairement affiché cet objectif en incluant dans l’introduction de la PCP la phrase « Les captures indésirées et les rejets constituent un gaspillage substantiel et ont une incidence négative sur l’exploitation durable des ressources biologiques de la mer et des écosystèmes marins, ainsi que sur la viabilité financière des pêcheries29 ». De plus, la politique a été une priorité de plusieurs pays pendant sa réforme.
Pour autant, sa mise en œuvre ne s’est pas déroulée sans accroc. Dans de nombreuses régions, les États membres ont élaboré des « plans de rejets » régionaux qui ont poussé la Commission à décaler l’entrée en vigueur de cette obligation de débarquement à la fin de la période de mise en œuvre de la PCP. Ainsi, les progrès ont été timides au cours des premières années. Son application pour la plupart des stocks et pêcheries est intervenue de manière massive en 2019, ce qui n’a permis de traiter des problématiques complexes que tardivement. Cette approche a ainsi eu un impact plus important sur les flottes, car elles ont dû s’adapter rapidement au cours de la dernière année. Dans certains cas, les effets négatifs perçus de cette évolution ont poussé les ministres à augmenter les limites de capture pour fluidifier politiquement son application30. Bien que l’obligation de débarquement totale soit entrée en vigueur le 1er janvier 2019 pour toutes les pêcheries des régions soumises à la PCP31, les mesures essentielles d’accompagnement et les modifications de l’activité de pêche ne sont véritablement intervenues que fin 2020.
Avec chaque nouvelle phase du déploiement, la quantité des captures indésirables ou involontaires devenait de plus en plus visible et de nouvelles obligations qui ne pouvaient plus être ignorées entraient en vigueur. Les décideurs ont ainsi commencé à percevoir les captures accessoires comme une nuisance pour les résultats économiques. Conséquence directe : les exemptions et autres ajustements des limites de capture se sont multipliés. L’étendue des exemptions aux plans de rejets, élaborés à l’échelle régionale par les États membres, a rendu les règles plus complexes et perturbé les contrôles réalisés par les autorités comme l’Agence européenne de contrôle des pêches (AECP)32. Initialement pensés pour être temporaires, ces plans de rejets ont fini par devenir des réglementations techniques permanentes. Ces changements ont rendu encore plus difficile le calcul du nombre total de captures pour les évaluations des stocks. Associées à la hausse des limites de capture, les exemptions ont permis d’adapter la réforme aux activités de pêche en vigueur plutôt que d’encourager une évolution des comportements ou une gestion des quotas permettant d’aboutir à des pratiques plus durables et moins sujettes aux gaspillages.
Le non-respect de l’obligation de débarquement s’est traduit par une poursuite des rejets illégaux et a compromis l’intégrité de l’évaluation des stocks et les décisions de capture. Il risque aussi de réduire à néant une grande partie des progrès réalisés dans le rapprochement des limites de captures avec les recommandations scientifiques. Ces risques restent sous-estimés et ignorés dans les décisions européennes relatives aux captures, qui continuent de partir du principe que l’obligation de débarquement est pleinement respectée.
L’imposition du recours à de nouvelles technologies pourrait permettre d’y remédier. Sans surveillance électronique à distance, par exemple par le biais de caméras sur les navires, permettant de contrôler et d’empêcher les rejets, les gestionnaires sont dans l’incapacité d’évaluer avec précision le degré de persistance de cette pratique. Les rapports officiels concluent d’ailleurs que la conformité est faible33, ce qui accroît la nécessité de limiter le risque de mortalité excessive des poissons. Au lieu d’être prudentes, les limites de capture ont été décidées sur la base d’hypothèses optimistes quant à la portée et au respect de l’obligation de débarquement34.
Cette réalité met en péril un autre objectif majeur de la PCP, qui aurait pourtant dû être complémentaire de cette obligation : la mise en place de taux d’exploitation pérennes35. Une quantité importante de ressources et de capital politique ont été investis dans les exemptions à l’obligation de débarquement et les souplesses au niveau des quotas. Si ces efforts avaient eu pour but de s’assurer que les outils nécessaires étaient en place pour améliorer la surveillance et le contrôle, l’UE aurait mieux géré ses pêcheries et serait plus proche de l’atteinte des objectifs de la PCP.
4. La prise de décisions au sein de l’UE reste compartimentée.
La PCP définit plusieurs objectifs visant à protéger les écosystèmes et à atteindre le « bon état écologique » tel qu’il est défini par la Directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM)36. Ce statut ne s’arrête pas à la productivité des pêcheries, mais concerne plus globalement la santé des écosystèmes. En dépit de ces objectifs et de liens explicites, la politique de la pêche de l’UE ne se donne toujours pas les moyens d’atteindre réellement ces objectifs. Au cours des sept dernières années, les scientifiques ont beaucoup appris sur les menaces pour la biodiversité et les effets du changement climatique sur les pêcheries européennes. Il apparaît notamment qu’il est plus crucial que jamais d’adopter une gestion plus prudente basée sur les écosystèmes, comme le reconnaît d’ailleurs le Pacte vert pour l’Europe, la Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 et les directives qui les ont précédés.
Parallèlement, les gestionnaires des pêcheries de l’UE chargés de mettre en œuvre la PCP ont pourtant pris des risques plus grands pour le fonctionnement des écosystèmes que ce qui avait été anticipé en 2013. Les décisions prises en lien avec les pêcheries entrent souvent en contradiction avec les objectifs généraux de la politique européenne. Enfin, les structures internes à la Commission et les rapports établis entre les différentes institutions peuvent obscurcir le rôle de la gestion des pêcheries dans l’atteinte des objectifs environnementaux ambitieux de l’UE.
Pour inverser cette tendance, des changements structurels, ainsi qu’une supervision plus démocratique et une prise de responsabilité par les trois institutions sont essentiels. L’absence d’étapes de mise en œuvre et de rapports officiels sur l’atteinte de ces objectifs spécifiques montre qu’ils ne constituent pas des priorités.
De nombreuses décisions de mise en œuvre favorisent explicitement l’aspect commercial au détriment de considérations pourtant importantes, comme le fonctionnement des écosystèmes, la reconstitution des stocks et la conservation de l’ensemble des espèces de poissons. L’introduction d’objectifs distincts pour les « captures accessoires » moins valorisées et la suppression des limites de capture pour des stocks sur lesquels les informations sont floues constituent ainsi autant de décisions motivées par des considérations économiques qui vont directement à l’encontre des objectifs de la PCP. La faiblesse du recrutement pour de nombreux stocks ces dernières années, à savoir l’arrivée dans les pêcheries d’un nombre de juvéniles inférieur aux attentes, trahit les incertitudes et les incompréhensions liées aux tendances des écosystèmes, notamment une mortalité naturelle supérieure à celle prévue. Le refus d’adopter une approche écosystémique des pêches signifie que l’effet des pressions anthropogènes comme la surpêche et le changement climatique sur les chaînes alimentaires marines est encore mal compris et insuffisamment pris en compte dans les décisions de gestion.
À de multiples reprises, l’UE a illustré son incapacité à faire preuve de cohérence de ce point de vue. Il est rare que les fonctionnaires des ministères et de la Commission travaillent directement avec les personnes chargées de la politique environnementale. Il est accepté que les politiques des pêcheries aillent à l’encontre des objectifs environnementaux, et la situation s’est d’ailleurs présentée régulièrement. Pourtant, les leaders politiques n’hésitent pas à vanter leurs engagements environnementaux auprès de leurs administrés et devant le monde entier.
Les politiques de gestion des pêcheries de l’UE doivent être intégrées au Pacte vert pour l’Europe37, à la stratégie pour la biodiversité38 et à d’autres engagements internationaux. Les propositions de gestion formulées chaque année par la Commission doivent indiquer explicitement en quoi elles vont dans le sens des engagements plus globaux de l’UE et expliquer quelles mesures permettront de corriger les politiques qui vont à l’encontre de ces engagements. La Direction générale de l’environnement et la Commission de l’Environnement du Parlement européen doivent peser davantage dans la politique de la pêche et pouvoir intervenir plus souvent lorsque cette politique est en conflit avec d’autres objectifs de l’UE.
Analyse approfondie : une cohérence bien rare avec les objectifs des politiques environnementales
Chaque année, la Commission publie un rapport présentant des indicateurs sur la performance économique, la pression de pêche et la reconstitution des stocks. Pour autant, elle ne fournit que peu d’informations au public sur plusieurs indicateurs de réussite de la PCP. Ces indicateurs manquants sont notamment :
Conformité à l’approche écosystémique de la gestion des pêches prévue par l’Article 2.3 de la PCP
Cohérence avec l’objectif de la DCSMM relatif à l’atteinte d’un bon état écologique prévu dans l’Article 2.5.j, pour lequel les exigences applicables aux pêcheries n’ont pas été respectées
Établissement de zones de reconstitution des stocks de poissons, tel que prévu dans l’Article 8 de la PCP
Mesures de conservation nécessaires pour se conformer aux obligations prévues par la législation environnementale de l’UE de l’Article 11 de la PCP
Encourager des méthodes de pêche ayant un impact réduit sur l’environnement, comme le prévoit l’Article 17 de la PCP39
Bien que la mise en œuvre de plusieurs de ces mesures relève de la responsabilité des États membres, l’absence de rapports clairs empêche les ONG40 de bénéficier d’une vision complète. Les processus régionaux par lesquels les États membres devaient convenir de mesures de conservation ont quasi exclusivement servi à définir des mesures relatives à l’obligation de débarquement et des exemptions à cette obligation.
La Commission a usé des prérogatives que lui confère l’Article 12 pour intervenir à plusieurs reprises, notamment lorsque les ressources biologiques marines étaient fortement menacées ou pour améliorer des mesures techniques applicables à des stocks fortement appauvris, comme le cabillaud de la mer Celtique en 2019, en opposition avec le Conseil41. L’élaboration de recommandations destinées aux pêcheries mixtes par le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) a permis à la Commission comme au Conseil de ne plus prendre en compte chaque espèce individuellement. (Le CIEM est une organisation de science maritime internationale chargée de fournir des données objectives sur l’état des mers et des océans et leur utilisation durable.) Pour autant, même dans ces cas, les scénarios cohérents avec les objectifs écosystémiques de la PCP sont généralement mis de côté au profit d’options offrant des résultats économiques supérieurs à court terme pour les espèces faisant l’objet d’un commerce important.
5. Le court-termisme reste très présent au sein de l’UE.
Les objectifs économiques et politiques à court terme ont trop souvent pris l’ascendant sur une réflexion à plus long terme, qui constitue pourtant un des axes centraux de la réforme de la PCP. Certaines limites de capture trop généreuses en témoignent : certains stocks de cabillaud, comme le cabillaud de la mer du Nord42, sont encore surpêchés alors qu’ils sont sur le point de s’effondrer, tandis que d’autres, comme le cabillaud de l’est de la Baltique, sont encore exploités alors que leur population s’est déjà effondrée43. Lorsque des décisions risquées ont eu des conséquences pourtant prévisibles sur les stocks, les décideurs se sont montrés surpris et mécontents du processus scientifique ou demandaient de nouveaux avis recommandant le maintien de leur approche. À l’avenir, les décisions prises devront explicitement tenir compte des conséquences qu’elles engendreront sur une période supérieure à un an. Si les ministres du Conseil refusent de se plier à cette exigence, la Commission devrait publier des évaluations de l’impact qui ne se limitent pas aux conséquences économiques sur l’année n-1, et prennent aussi en compte les politiques et législations plus globales de l’Union européenne.
Parmi les facteurs qui semblent avoir nui aux progrès, on peut citer le court-termisme des ministres de la Pêche réunis dans le Conseil lors de la fixation des limites de capture annuelles (voir l’étude de cas ci-dessous), l’opacité du processus décisionnel du Conseil (voir l’enseignement n° 7), qui est soumis à un lobbying intense, et le recours permanent à des arguments socio-économiques pour justifier la surpêche.
Par ailleurs, les décideurs politiques s’appuient trop souvent sur la flexibilité des plans pluriannuels, des outils censés offrir une vision à plus long terme, pour prendre des décisions annuelles principalement axées sur les avantages à court terme. Ensemble, tous ces facteurs ont abouti à un retour en arrière par rapport aux plans de gestion à long terme en vigueur précédemment, qui avaient mis les ministres face à leurs responsabilités en matière de reconstitution des stocks.
Étude de cas : processus décisionnel du Conseil pour la fixation des limites de capture
En dépit d’améliorations du rendement des pêcheries bien gérées, les leaders du secteur alertent régulièrement sur le cataclysme financier44 qu’engendrerait la mise en œuvre intégrale de la PCP. Ce court-termisme transparaît dans les décisions relatives au total admissible de captures prises par les ministres de la Pêche membres du Conseil. La possibilité de fixer de tels totaux leur permet de prendre des décisions importantes en l’espace d’une réunion, mais bien souvent, ces décisions ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une gestion des stocks viable à long terme.
La prise de ces décisions lors d’une seule réunion annuelle intensifie la pression sur l’ensemble des décideurs participant aux négociations avec des intérêts contradictoires, en particulier les États membres qui souhaitent être entendus par la présidence et la Commission. Cette réalité encourage les petits arrangements et un nivellement par le bas : des dynamiques qui poussent régulièrement à des réunions se terminant tard dans la nuit et où des décisions et transactions complexes, en contradiction avec les recommandations scientifiques, interviennent à la dernière minute. Par conséquent, les limites de capture ont tendance à augmenter lors de chaque réunion du Conseil au lieu de se rapprocher de celles préconisées par la science ou les exigences légales de la PCP. Cette approche offre peu de transparence aux parties prenantes, aux médias et au public quant à la manière dont les décisions ont été prises.
Ce type de vision court-termiste tend également à retarder l’application de mesures correctives, et lorsqu’elles seront finalement mises en place, il est possible qu’elles s’avèrent draconiennes et économiquement préjudiciables à long terme. Prenons, par exemple, les délibérations portant sur les stocks de cabillaud de la mer Baltique. Il s’est avéré nécessaire de réduire fortement les TAC pour 2020 après des années de surpêche contre-productive, à l’approche même des échéances de la PCP. Ces problèmes étaient prévisibles et ils avaient été prévus45.
6. La transparence sur les progrès effectués est souvent limitée par des rapports flous et incohérents.
Le public manque d’informations claires sur les performances de la PCP. Au lieu de produire des rapports sur les objectifs de cette politique, la Commission continue à faire des rapports sur des critères moins pertinents, tels que le critère des « seuils de sécurité biologique » ou les tendances observées au fil du temps, ou elle change les critères chaque année pour des raisons qui restent inexpliquées.
Par exemple, l’introduction d’un critère portant sur le « tonnage débarqué » juste avant l’échéance de 2020, outre le fait qu’une telle approche contredise les intentions de la PCP, semblait davantage motivée par l’opportunisme politique que par la nécessité de vérifier si l’objectif relatif aux taux d’exploitation durables pour l’ensemble des stocks était atteint. Une telle décision peut laisser le public perplexe quand il s’agit de savoir si les lacunes de la politique ont été comblées. Le manque d’information peut aussi inciter les parties prenantes à tirer des conclusions très différentes sur les priorités, en réagissant aux décisions avec des impressions divergentes quant aux progrès accomplis, ce qui les conduit à se montrer peu disposées ou incapables de parvenir à un consensus concernant les mesures de gestion majeures. La Commission doit publier chaque année des évaluations officielles plus précises des progrès accomplis, basées sur les objectifs de la PCP, notamment dans le cadre de son réexamen de la mise en œuvre de la PCP pour 2022.
Étude de cas : des rapports insuffisants de la Commission sur la reconstitution des stocks et les taux d’exploitation
L’UE n’a publié que des informations restreintes sur les progrès accomplis en vue d’atteindre les objectifs de reconstitution de la biomasse des stocks définis dans l’Article 2 de la PCP, ce qui explique que les parties prenantes éprouvent des difficultés à évaluer les lacunes en matière de données et à réfléchir à la façon de les corriger. Des scientifiques indépendants ont tenté de combler ces lacunes grâce à des analyses des progrès46 enregistrés en vue d’atteindre les objectifs de la PCP, qui révèlent une situation encore moins favorable que dans les rapports officiels de la Commission. Les timides initiatives de la Commission visant à fournir, par l’intermédiaire du CSTEP, certaines données portant sur les critères spécifiques de cet objectif juridique n’ont été prises que récemment47 sous la pression des ONG, et les données en question ne couvrent qu’un petit nombre de stocks. Il est difficile de poursuivre des objectifs spécifiques, comme celui que la PCP a fixé pour la biomasse, si les progrès ne sont pas mesurés régulièrement.
Dans les zones où une gestion plus durable a été mise en œuvre, la biomasse a augmenté, non seulement dans l’ensemble, mais également dans chaque cas particulier. Cet enseignement important (qui constitue également une bonne nouvelle) risque de se retrouver noyé dans les données disparates publiées par l’UE au sujet des tendances de la biomasse. Des cas particuliers, comme celui du cabillaud dans la mer Baltique48 et la mer Celtique49, illustrent également une situation déconcertante où des stocks autrefois productifs ont été surpêchés jusqu’à leur effondrement prévisible, et où des exemptions ont continué à être accordées pour la surpêche de populations aujourd’hui gravement décimées. À cause des exemptions et des subtils ajustements des objectifs concernant les stocks de capture accessoire, il est ainsi impossible d’atteindre les objectifs de la PCP, bien qu’une modification des objectifs n’ait jamais été officiellement annoncée.
Pour brosser un tableau exhaustif des résultats de la politique, il est donc essentiel que la Commission demande aux scientifiques de produire des évaluations des progrès accomplis par rapport à l’objectif fixé en termes de biomasse. Le manque de clarté actuel a également eu un effet bien concret : au lieu de chercher à maintenir les stocks à des niveaux productifs (autrement dit à des niveaux de biomasse plus élevés), certaines décisions ont été basées sur des choix plus risqués, les gestionnaires cherchant simplement à éviter l’effondrement des stocks ou, pire encore, à maintenir les captures pour des stocks déjà dangereusement épuisés.
Par ailleurs, les parties prenantes ont accueilli de manière contrastée les décisions politiques affectant les taux d’exploitation et la pression de pêche, en particulier la mise en place des limites de capture annuelles. Prenons, par exemple, la réaction aux limites de capture fixées par le Conseil pour 2020. La Commission a conclu qu’il s’agissait d’une grande réussite, car elles mettaient l’accent sur les débarquements (voir l’enseignement n° 1 : « Analyse approfondie ») et sur les mesures visant à limiter les dommages causés aux stocks de capture accessoire50. Les ONG environnementales, en revanche, ont réagi de manière plus négative, en se focalisant sur les exigences spécifiques de la PCP, le non-respect de l’échéance de 2020 et la poursuite de la surpêche des stocks appauvris51. Les grandes organisations du secteur de la pêche ont adhéré sans hésiter à l’optimisme officiel concernant les progrès accomplis52.
La question de savoir si les limites de capture fixées pour 2020 étaient conformes aux points de référence scientifiques prévus dans la PCP aurait dû être une question factuelle et juridique objective, et non d’opinion. Mais étant donné que chaque entité concernée avait sa propre perception de l’objectif initial, les conclusions ont été différentes, ce qui a entraîné la frustration de nombreux protagonistes proches des décisions politiques et semé la confusion dans l’esprit du public.
Présenter les mesures de gestion ou l’état des stocks, de manière inappropriée, comme des tendances biologiques inéluctables plutôt que des choix politiques, peut amener les citoyens européens à ignorer que les décideurs politiques ont parfois opté pour des niveaux de pêche risqués qui ne répondent pas aux obligations légales (et qui peuvent endommager l’écosystème). Des rapports plus clairs sur les objectifs définis de façon démocratique contribueraient à la fois à la responsabilisation et à une meilleure compréhension.
7. Un processus décisionnel opaque nuit aux progrès.
Un processus de prise de décision démocratiquement responsable, transparent et fondé sur des preuves scientifiques est une exigence qui va au-delà des objectifs de la PCP. Les traités de l’UE exigent des responsabilités institutionnelles claires et une obligation de rendre compte aux citoyens de l’UE. Dans le cadre des dispositions environnementales de la PCP, l’UE doit appliquer le principe de précaution (voir l’encadré 1). L’UE a également signé la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (convention d’Aarhus, 199853).
Malgré cela, dans le cadre de la PCP, le processus décisionnel reste inutilement difficile à suivre, aussi bien pour les parties prenantes que pour le public. Les personnes intéressées ont plus de mal à comprendre clairement la motivation de certaines décisions. Ces facteurs sont souvent à l’origine d’une certaine méfiance entre les parties prenantes. Dans certains cas, l’absence de responsabilité peut conduire à des décisions qui semblent contraires aux exigences de la PCP, et dont les résultats s’avèrent bien pires en mer.
Le processus décisionnel à huis clos du Conseil en est peut-être l’exemple le plus nuisible, mais chaque institution doit procéder à des améliorations pour assurer la transparence de l’ensemble du processus et veiller à ce que la politique se traduise par de bons résultats. Par exemple, la Commission a généralement omis de publier la justification de ses propositions de limites de capture qui dépassent les recommandations scientifiques, et de préciser en quoi consistent véritablement ces recommandations scientifiques dans les cas où le fondement de la recommandation publiée ne correspond pas à la justification d’une limite de capture. En juillet 2020, la Commission a néanmoins annoncé54 des mesures visant à améliorer la transparence de ses propositions et des processus associés au sujet des décisions du Conseil portant sur les limites de capture. Elle a mis en œuvre ces mesures fin 2020, améliorant ainsi le processus pour les limites de capture de 202155. Au Parlement européen, le vote est intrinsèquement plus transparent, mais la responsabilité peut devenir moins évidente lorsque les députés européens concluent des accords définitifs avec le Conseil concernant une législation conjointe, un autre processus mené à huis clos.
Les processus propres aux parties prenantes détériorent parfois la transparence du processus décisionnel au lieu de l’améliorer. Par exemple, les conseils consultatifs (CC) organisés par région ou par filière halieutique ont pour but de réunir les représentants du secteur et d’autres parties prenantes afin de conseiller les institutions européennes et les États membres. Leur participation peut permettre de discuter ouvertement de questions de mise en œuvre délicates et de proposer des solutions pratiques. Certains CC ont fait leurs preuves en donnant des conseils utiles, mais d’autres s’en sont moins bien sortis, choisissant parfois de ne pas prodiguer de conseils en l’absence de consensus ou rédigeant des documents de type « plus petit dénominateur commun » qui évitent la controverse en les vidant de toute substance.
Ces deux cas de figure risquent d’entraver l’élaboration des politiques, car ils sont susceptibles d’inciter les décideurs à contourner le processus des CC et à prêter une oreille plus attentive au lobbying en faveur d’intérêts individuels, ou de se traduire par un obscurcissement des principaux compromis et des aspects pratiques, ce qui rend les décisions prises à huis clos encore plus opaques. Par nature, les discussions des CC sont souvent houleuses. Aligner davantage les procédures des CC avec les exigences juridiques de la PCP en ce qui concerne, par exemple, la nécessité d’une présidence impartiale et d’une présentation fidèle des positions minoritaires, et garantir que le financement public soit subordonné au respect de ces règles permettrait de rendre ces processus plus transparents.
Étude de cas : les prises de décisions à huis clos du conseil
Malgré les réformes apportées à la PCP en 2013, le processus décisionnel du Conseil reste presque aussi opaque qu’auparavant, les hommes politiques prenant des décisions techniques sur l’exploitation des stocks de poissons lors de réunions à huis clos se terminant tard dans la nuit. Les discussions ayant lieu dans la salle du Conseil ne sont pas enregistrées. Mais même si elles l’étaient, la plupart des négociations sur les limites de capture sont menées par diplomatie de la navette entre les différentes salles de délégation du bâtiment du Conseil, une situation qui fait obstacle à toute tentative d’enregistrement des positions. Le processus diplomatique compétitif permettant à chaque État membre de faire entendre ses demandes à la présidence et à la Commission encourage les accords conclus en coulisses, souvent en contradiction avec les objectifs politiques déclarés. Les limites de capture ont tendance à augmenter au cours de chaque réunion du Conseil au lieu de se rapprocher progressivement des recommandations scientifiques et des exigences juridiques de la PCP.
Jusqu’en 2020, les propositions relatives aux limites de capture étaient rarement publiées ou n’étaient rendues publiques qu’à l’issue du processus décisionnel du Conseil. Pour évaluer le degré de conformité de ces propositions avec les recommandations scientifiques, un travail d’investigation doit être effectué par des observateurs extérieurs. En raison des disparités entre les zones ou les stocks soumis à des limites de capture et les recommandations scientifiques, ainsi que des ajustements complexes des obligations de débarquement, il est difficile, voire impossible, de comparer deux chiffres rendus publics pour évaluer si les aspects scientifiques sont pris en compte. Les observateurs sont toutefois invités à croire que toutes les décisions sont « conformes aux dernières recommandations scientifiques56 ».
Encadré 3 : Le Médiateur met en évidence l’opacité de la PCP
Après des années de manque de transparence57 sur la façon dont le Conseil fixe les totaux admissibles de captures pour certains stocks de poissons, le Médiateur européen a ouvert une enquête en 2019, qui a révélé que le processus décisionnel opaque du Conseil constituait, selon les termes du bureau, un cas de mauvaise administration58. Le Médiateur a conclu que : « le Conseil n’a pas pleinement conscience du lien essentiel qui existe entre démocratie et transparence du processus décisionnel quant aux questions qui ont une incidence considérable sur le grand public, élément d’autant plus important lorsque la prise de décision concerne la protection de l’environnement. » Il n’est pas surprenant que cette conclusion découle d’une plainte émanant d’une ONG environnementale (ClientEarth) plutôt que d’un élan institutionnel visant à renforcer la responsabilité.
Tout cela laisse le public incapable de juger du bien-fondé des positions prises par les gouvernements des États membres, puisque ces positions sont généralement secrètes. Les États membres rejettent à leur tour les tentatives59 visant à leur attribuer la responsabilité de la surpêche, chacun arguant que les décisions ont été dictées par d’autres États. Par ailleurs, ces limitations ont tendance à faire l’objet d’un examen superficiel ou d’une faible couverture médiatique lorsque les résultats sont communiqués, ce qui explique le manque de réactions. Une enquête menée 2019 par le Médiateur européen a mis en lumière une grande partie de ces problèmes60 (voir l’encadré 3).
8. Les stocks partagés avec des pays hors UE complexifient le respect des objectifs de la PCP.
Les poissons capturés par les pêcheurs de l’UE se déplacent entre les eaux de l’UE et celles des pays tiers, tels que la Norvège, les îles Féroé et à présent le Royaume-Uni, qui prennent leurs propres décisions en matière de gestion de la pêche. Les données de la Commission et les observateurs tels que la New Economics Foundation montrent que les stocks partagés avec ces pays risquent davantage d’être surpêchés61. Ce constat révèle qu’il peut être plus difficile de convenir de limites durables lorsque des pays tiers sont impliqués dans le processus décisionnel.
Il est essentiel de surmonter les obstacles à la gestion durable en cas de collaboration avec des pays hors UE, en particulier après le Brexit, sachant que l’UE et le Royaume-Uni négocient de nouveaux accords de gestion conjointe. Pour les stocks dont la répartition est très étendue dans l’Atlantique du Nord-Est, la gouvernance s’avère complexe et nécessite une collaboration stable fondée sur des principes communs de durabilité et un processus décisionnel scientifique afin de garantir une bonne gestion et de permettre à l’UE de respecter ses engagements au titre de la PCP62. L’UE doit jouer un rôle moteur dans les négociations internationales pour garantir que la gestion des stocks partagés soit conforme aux engagements communs et que les pays tiers soient soumis à un examen minutieux de leurs politiques.
Analyse approfondie : stocks partagés et mise en œuvre de la PCP
La surpêche actuelle des stocks pélagiques de l’Atlantique du Nord-Est, due en partie à des désaccords entre l’UE et des pays tiers sur la répartition des captures, montre à quel point il est difficile d’assurer une gestion durable en l’absence de cadres internationaux plus solides et met en évidence le rôle important que l’UE doit jouer en continuant à œuvrer en faveur d’une amélioration des organisations régionales de gestion de la pêche, dont l’importance est cruciale. Ces organisations internationales sont composées de pays qui ont en commun un intérêt pratique pour la gestion et la conservation des stocks de poissons dans une région donnée63, en l’occurrence la Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est (CPANE).
L’UE et le Royaume-Uni doivent tirer les enseignements de plusieurs décennies d’histoire, dans le cadre de cette PCP et des politiques qui l’ont précédée, afin d’éviter les prises de décisions court-termistes et les pratiques non durables qui ont nui à la gestion de la pêche au cours de cette période. Cela revêt une importance toute particulière à la lumière des positions du Royaume-Uni concernant la gestion post-Brexit, qui ont révélé des ambitions plus modestes64 en matière de garanties de durabilité. Le projet de loi britannique sur la pêche65 porte potentiellement atteinte à l’obligation de pêcher de manière durable. En outre, le langage utilisé pour aborder les négociations portant sur le futur cadre commun entre l’UE et le Royaume-Uni66 suggère que les recommandations scientifiques pourraient être remplacées par d’autres facteurs tels que les « aspects socioéconomiques », bien que l’accord-cadre conclu par l’UE et le Royaume-Uni en décembre 2020 comprenne des garanties de durabilité renforcées.
Concernant les négociations relatives aux mesures de gestion de la pêche au nom de l’UE avec les pays tiers, le rôle de la Commission manque également de transparence. Les acteurs de l’industrie de la pêche sont invités à participer aux discussions en tant que membres de la délégation de l’UE, mais d’autres parties prenantes, telles que les ONG, sont souvent tenues à l’écart des débats. Les causes de cette situation restent floues malgré les demandes de justification maintes fois réitérées. Les négociateurs de la Commission ont plutôt tenté d’améliorer le flux d’informations, en informant par exemple les parties prenantes extérieures à l’industrie de la pêche en marge des discussions entre l’UE et la Norvège, mais il est inacceptable que ces organisations éprouvent encore autant de difficultés pour accéder à ces négociations majeures ou pour participer à la définition des obligations légales de l’UE relatives à ces discussions. L’amélioration de la gestion, de l’accessibilité et de la transparence de ces négociations doit être une priorité essentielle, sachant que le poisson reste une ressource publique.
Conclusion
La réforme de la PCP a entraîné des améliorations dans la gestion de la pêche de l’UE, notamment une réduction de la surpêche et la reconstitution de certains stocks, qui ont profité à la biodiversité, à d’autres stocks ainsi qu’aux pêcheurs. Les tendances à long terme sont pour la plupart positives. Mais ce qui ressemble à un effritement de la volonté politique depuis l’entrée en vigueur de l’accord a empêché la pleine mise en œuvre de certaines des politiques spécifiques requises par la PCP à tous les niveaux, et cette défaillance a eu pour effet de retarder les avantages potentiels de la politique.
Le non-respect des principales échéances adoptées dans la législation européenne en 2013, notamment celle visant à mettre fin à la surpêche d’ici 2020, représente une série d’opportunités manquées dont les mers et les communautés qui en dépendent auraient pu profiter.
Un opportunisme politique court-termiste semble avoir conduit les décideurs à viser des objectifs moins ambitieux que ne l’exige la PCP, en adaptant les mesures de gestion aux pratiques de pêche existantes au lieu de les modifier. Les institutions européennes considèrent trop souvent que la politique de la pêche est déconnectée des politiques environnementales et exempte d’engagements relatifs à la durabilité. Ni les décisions prises dans ce « silo » de la pêche, ni les évaluations complètes des progrès accomplis ne font l’objet d’une communication limpide et systématique, ce qui explique que le public ait du mal à comprendre les incohérences avec d’autres politiques de l’UE. En outre, le fossé de la transparence se creuse encore quand il est question de gestion internationale conjointe entre l’UE et d’autres États.
De graves problèmes persistent, et ils sont en contradiction avec les ambitions déclarées de l’UE. Il est urgent de les résoudre pour terminer la mise en œuvre de la PCP avant que la Commission ne soit tenue d’évaluer ses performances en 2022 et avant que les décideurs politiques n’envisagent de nouvelles réformes. Il n’est possible d’assurer une mise en œuvre complète de la PCP et d’atteindre ses objectifs que si toutes les institutions de l’UE remplissent leur rôle conformément à ce qui est exigé par les traités et l’ensemble de la législation européenne en matière de pêche.
Union européenne, « Règlement (UE) N° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la Politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) N° 1954/2003 et (CE) N° 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) N° 2371/2002 et (CE) N° 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil », Journal officiel de l’Union européenne L 354, 28.12.2013 (2013) : 22-61, http://data.europa.eu/eli/reg/2013/1380/oj.
Commission européenne, « Décision (UE) 2017/848 de la Commission du 17 mai 2017 établissant des critères et des normes méthodologiques applicables au bon état écologique des eaux marines ainsi que des spécifications et des méthodes normalisées de surveillance et d’évaluation, et abrogeant la directive 2010/477/UE », Journal officiel de l’Union européenne (2017), https://eur-lex.europa.eu/eli/dec/2017/848/oj?locale=fr.
Accord des Nations Unies aux fins de l’application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons chevauchants dont les déplacements s’effectuent tant à l’intérieur qu’au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs (1995), https://www.un.org/Depts/los/convention_agreements/texts/fish_stocks_agreement/CONF164_37.htm
Commission européenne, « Communication de la Commission au parlement européen et au conseil concernant l’état de mise en œuvre de la politique commune de la pêche et la consultation sur les possibilités de pêche pour 2020 » (2019), https://eur-lex.europa.eu/legalcontent/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52019DC0274.
Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP), « STECF & Common Fisheries Policy », Commission européenne, https://stecf.jrc.ec.europa.eu/index.html.
The Pew Charitable Trusts, « La gestion de la pêche de l’UE ne respecte toujours pas les recommandations des scientifiques malgré l’échéance de 2020 ».
Commission européenne, « COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN ET AU CONSEIL Vers une pêche plus durable dans l’UE ».:
The Pew Charitable Trusts, « La gestion de la pêche de l’UE ne respecte toujours pas les recommandations des scientifiques malgré l’échéance de 2020 ».
Article 26, Union européenne, « Règlement (UE) N° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil », Journal officiel de l’Union européenne, L 354, 28/12/2013.
Union européenne, « Directive 2008/56/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 Établissant un cadre d’action communautaire dans le domaine de la politique pour le milieu marin (directive-cadre stratégie pour le milieu marin) », Journal officiel de l’Union européenne L 164 25.6.2008 (2008), http://data.europa.eu/eli/dir/2008/56/oj.
Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU), « Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement » (convention d’Aarhus, 1998), https://www.unece.org/env/pp/treatytext.html
Médiateur édiateur européen, « Décision dans l’affaire 640/2019/TE relative au manque de transparence du Conseil de l’UE dans le processus décisionnel conduisant à l’adoption de règlements annuels fixant des quotas de pêche », 29 avril 2020, https://www.ombudsman.europa.eu/fr/decision/fr/127388.