Les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont en pourparlers pour mettre fin aux subventions néfastes du secteur de la pêche, qui facilitent et favorisent la pêche non durable. Ils travaillent également pour satisfaire l’engagement pris en 2017 de parvenir à un accord d’ici fin 2019.1
Pour ce faire, ils doivent convenir de règles pour interdire certaines formes de subventions gouvernementales qui contribuent à la surcapacité et à la surpêche et pour supprimer celles qui favorisent la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INDNR). S’il intervenait en temps opportun, un tel accord représenterait un grand pas en avant en faveur de la durabilité dans le secteur de la pêche mondiale et irait naturellement dans l’intérêt de tous les États pratiquant la pêche.
Actuellement, les subventions néfastes incitent les pêcheurs à augmenter les captures au-delà des limites durables sur le long terme. Trop souvent, ces subventions, qui compensent généralement les coûts liés à l’achat de carburant et d’équipements et à la construction des navires, servent à financer des pratiques de pêche destructives et coûteuses, et qui ne seraient pas économiquement viables sans le soutien des gouvernements. Elles nuisent aux bonnes pratiques de gestion et se traduisent par un trop grand nombre de captures.
Chaque année, les gouvernements à travers le monde consacrent plus de 20 milliards de dollars à ces subventions.2 Or, ces pratiques mènent tout droit à l’effondrement de nombreux stocks de poissons.
On observe une corrélation entre l’efficacité de la gestion de la pêche et la réussite d’une réforme des subventions, en partie parce que certaines propositions de l’OMC font le lien entre subventions valables et santé des stocks de poissons.
De manière générale, une gestion efficace de la pêche nécessite une évaluation des stocks basée sur les meilleures données scientifiques disponibles. Une telle évaluation permettra ensuite de prodiguer des conseils avisés concernant les mesures de contrôle à prendre. Les limites de capture, de même que les règles régissant l’utilisation de certains équipements de pêche, doivent être en adéquation avec les avis scientifiques afin de limiter les dommages aux autres espèces. Des mesures de suivi, de contrôle et d’inspection efficaces doivent être prises pour assurer une surveillance suffisante des navires de pêche. En outre, les gouvernements doivent disposer de capacités et de moyens exécutoires suffisants pour contrecarrer la pêche INDNR et appréhender les contrevenants.
Certains pays s’inquiètent de leur capacité à mettre en oeuvre des règles qui subordonneraient les subventions à leurs efforts de gestion, estimant qu’ils n’ont ni la capacité ni les ressources pour entreprendre des évaluations complètes des stocks de poissons ou pour suivre et surveiller les navires. Ils craignent qu’on les accuse d’avoir manqué aux obligations imposées par l’OMC.
Ces obstacles ne sont pas insurmontables. Les scientifiques mettent au point de nouvelles méthodes pour aider les gestionnaires des pêches à évaluer l’état des stocks malgré le manque de données, et les nouvelles technologies rendent le suivi plus exhaustif et abordable. Cette fiche d’information illustre quelques-uns de ces outils, ainsi que les options disponibles pour améliorer la santé des stocks de poissons et mettre un terme aux subventions néfastes.
Les scientifiques ont mis au point des solutions innovantes pour gérer la pêche de manière durable, même quand les données collectées sont peu nombreuses. Par exemple, les gestionnaires peuvent établir des limites de pêche en fonction des captures ou des débarquements annuels lorsque ce sont les seules données disponibles. Ils peuvent ensuite affiner ces limites en s’appuyant sur les données biologiques connues relatives à une espèce de poissons ou sur les estimations des experts concernant l’appauvrissement des stocks. Des versions plus sophistiquées des évaluations réalisées avec peu de données pourraient intégrer d’autres informations : intensité et effort de pêche, données d’échantillonnage biologique ou évaluations récentes de stocks similaires. Ces méthodes peuvent ne pas fournir autant de précisions qu’une évaluation complète des stocks, mais elles permettent de déterminer quand un risque de surpêche guette un stock.
Des méthodologies basées sur des données limitées sont utilisées partout dans le monde, y compris dans des régions où se trouvent de grandes agences gouvernementales qui se consacrent aux sciences et à la gestion de la pêche, comme aux États-Unis. En 2015, les méthodes riches en données n’ont étayé que 30 % des décisions de gestion de la pêche dans les eaux des États-Unis ; 70 % des décisions étaient donc prises sur la base de données limitées, voire très limitées.3 Dans l’Union européenne, seuls 88 stocks sur 200 avaient fait l’objet d’une évaluation complète en 2012. Cette année-là, le Conseil international pour l’exploration de la mer a mis au point une méthode basée sur des données limitées afin de fournir des avis quantitatifs sur les 112 stocks restants.4
Les gestionnaires de la pêche disposent désormais de nouveaux outils pour les aider à identifier et à mettre en oeuvre les évaluations basées sur des données limitées les plus pertinentes pour leurs stocks.
Les chercheurs de l’université de la Colombie-Britannique ont mis au point le pack logiciel Data-Limited Methods Toolkit (DLMtool) (https://www.datalimitedtoolkit.org), qui rassemble 85 méthodes d’évaluation différentes sur une même plateforme open source gratuite.5 Cette boîte à outils permet de générer des recommandations destinées aux gestionnaires concernant les limites de capture et d’autres mesures visant à favoriser la durabilité et à maintenir les populations de poissons à des niveaux sains. À long terme, elle peut aussi contribuer à l’identification des stocks devant être évalués en priorité et des besoins les plus pressants en matière de données.
Conçu dans un souci de convivialité, le site Web DLMtool propose du matériel de démonstration et de référence. Des spécialistes du développement ont formé des gestionnaires des pêches du monde entier, notamment au moyen d’une série d’ateliers mis sur pied en collaboration avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture à l’intention des gestionnaires des stocks de thon en haute mer, ces zones ne relevant d’aucune juridiction nationale. Les gestionnaires de la pêche des États-Unis et du Canada utilisent le logiciel DLMtool pour orienter les décisions de gestion de plusieurs stocks de poissons emblématiques et lucratifs, notamment ceux du maquereau bleu, du loup de mer et du vivaneau à queue jaune,6 même s’ils disposent déjà des meilleurs systèmes de collecte de données au monde pour ces espèces.
Une initiative similaire, la boîte à outils de l’AFAM (Adaptive Fisheries Assessment and Management) (https://sfg-ucsb.github.io/afamGuidanceDocument), a été développée par le Sustainable Fisheries Group de l’université de Californie (Santa Barbara), l’ONG Environmental Defense Fund (EDF) et Rare, une organisation internationale à but non lucratif.7 La boîte à outils de l’AFAM déploie également un tableau de bord convivial et gratuit, disponible en ligne ou en téléchargement. Le programme sert de fil directeur aux décisionnaires et aux communautés de la pêche dans leurs tâches de gestion, depuis l’étape de la collecte des données jusqu’à l’adaptation de la structure de gestion, en fonction des informations nouvelles et de l’évolution de la situation.
D’autres outils offrent des fonctionnalités similaires : FishPath (https://fishpath.org/Questionnaire), développé par The Nature Conservancy, oriente le choix des stratégies de gestion de la pêche grâce à un questionnaire portant notamment sur les caractéristiques économiques, écologiques et de gouvernance de la pêche.8 Développé par l’Environmental Defense Fund (EDF), l’outil FISHE (Framework for Integrated Stock and Habitat Evaluation) (http://fishe.edf.org) guide les gestionnaires de la pêche tout au long d’un processus visant à mettre en place des évaluations approfondies.
Ces outils ont été élaborés pour être utilisés avec des catégories et volumes de données variés et différents niveaux de capacités techniques. Comme ils sont gratuits, les gestionnaires peuvent les tester et choisir ceux qui répondent le mieux à leurs besoins.
De nouveaux outils et de nouvelles technologies faisant sans cesse leur apparition, il est plus facile et moins onéreux que jamais de recueillir les données et de suivre les stocks de poissons. Les gestionnaires peuvent ainsi réglementer plus efficacement la pêche dans leurs eaux. Voici quelques exemples de la manière dont ces outils sont mis en oeuvre, dont trois initiatives pour améliorer la collecte des données dans le secteur de la pêche artisanale et une solution pour assurer le suivi international des grands navires.
Ces méthodes et applications sont toutes conçues pour améliorer la gestion de la pêche et en réduire les coûts. Toutefois, chacune est susceptible de nécessiter une assistance technique ou financière. Plusieurs gouvernements, institutions multilatérales et organisations non gouvernementales parrainent des programmes en vue d’améliorer la gestion de la pêche. Quelques exemples de ces programmes:
Des programmes comme ceux mentionnés dans cette fiche d’information peuvent aider les pays pêcheurs, notamment ceux dont les ressources sont limitées, à mieux gérer leur pêche et à respecter leurs futures obligations vis-à-vis de l’OMC en matière de subventions à la pêche. Tous les pays pêcheurs tirent profit de l’élimination de subventions qui permettent aux pêcheurs de naviguer plus loin, plus longtemps, pour ramener au port des captures non durables sur le long terme.