Dans le but de maximiser les profits, les exploitants qui pêchent illégalement ou ne déclarent pas toutes leurs captures rognent souvent sur les coûts d’exploitation de leurs navires, compromettant davantage la sécurité des pêcheurs dont le métier est déjà l’un des plus dangereux au monde. Souvent, les navires de pêche illégaux ne disposent pas en quantité suffisante du matériel nécessaire pour assurer la sécurité à bord ou ne tiennent pas compte des réglementations concernant les modifications apportées aux navires. De plus, ils restent souvent en mer pendant de très longues périodes sans se soumettre aux inspections de sécurité, ils sont plus enclins à pêcher dans des conditions climatiques dangereuses et à ne pas se soucier des conditions de travail à bord de leurs bateaux.
En 1999, l’Organisation internationale du travail (OIT) avait estimé à 24 000 le nombre de décès annuels dans le secteur de la pêche, soit dix fois plus que sur les navires marchands. Or, les navires de pêche et leurs équipages sont exclus de la quasi-totalité des réglementations maritimes, telles que les certifications de sécurité ou les inspections portant sur les conditions de travail, ce qui permet aux pratiques abusives de passer inaperçues.
L’Accord du Cap (l’Accord) de 2012, adopté par l’Organisation maritime internationale (OMI), esquisse des normes applicables aux navires de pêche, notamment en matière de sécurité des équipages et des observateurs, afin de garantir des conditions de concurrence équitables pour l’ensemble du secteur. Cet Accord entrera en vigueur lorsque 22 États, représentant une flotte totale de 3 600 bateaux éligibles l’auront ratifié ou y auront accédé. Cette étape imposerait les mêmes exigences de conformité aux bateaux de pêche qu’aux autres types de navires et mettrait fin aux pratiques qui exposent les équipages à des risques excessifs. En attendant l’entrée en vigueur de l’Accord, les navires de pêche ne sont soumis à aucune réglementation internationale de sécurité.
Plusieurs rapports montrent qu’un nombre croissant de migrants, déjà exposés aux risques d’exploitation de par leur statut, composent les équipages de pêche en haute mer ou en dehors de la juridiction nationale d’un État du pavillon. Ils peuvent passer de longs mois en mer et se retrouvent souvent isolés, car ils ne parlent pas la langue des autres membres de l’équipage ou du capitaine. Ces pêcheurs ne disposent d’aucun moyen pour signaler les violations des normes de sécurité à bord de leurs navires. Des enquêtes internationales ont signalé le cas de migrants à la recherche d’un travail à l’étranger qui s’étaient vu promettre un emploi sur la terre ferme mais qui se sont retrouvés en pleine mer, à travailler dans de mauvaises conditions sur des bateaux dangereux.1
De plus en plus communément, la communauté internationale reconnaît que de mauvaises conditions de travail et le non-respect des normes de sécurité constituent des marqueurs de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Les armateurs qui ne déclarent pas toutes leurs captures ou pêchent illégalement sont généralement les mêmes qui n’offrent pas à leurs équipages des conditions de travail, une formation ou un matériel de sécurité adéquats. En outre, ils ont tendance à pêcher dans des conditions météorologiques dangereuses. Pour minimiser les coûts, les équipements disponibles à bord sont souvent inadaptés ou des modifications inappropriées ont été apportées au bateau, qui ne fait que de très rares escales à terre sans jamais faire l’objet d’inspections de sécurité.
Afin d’assurer la sécurité des équipages à bord des bateaux de pêche, les gouvernements devraient faire respecter deux traités déjà en vigueur – l’Accord de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) relatif aux mesures du ressort de l’État du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (AMREP), et la Convention sur le travail dans la pêche (C188) de l’OIT – et adhérer à l’Accord du Cap. L’AMREP vise à garantir la légalité des captures et la C188 à améliorer les conditions de travail des équipages. Pour garantir la légalité et la sécurité des activités de pêche, ces trois organisations des Nations Unies se sont prononcées en faveur de la mise en œuvre simultanée de ces trois instruments.
L’Accord du Cap met à jour, modifie et remplace le Protocole de Torremolinos de 1993, né de la Convention internationale de Torremolinos sur la sécurité des navires de pêche de 1977. Ni le Protocole, ni la Convention de Torremolinos n’entreront en vigueur, mais leurs clauses sont reprises dans l’Accord. Dès sa mise en œuvre, l’Accord fixera des exigences minimales pour la conception, la construction, l’équipement et l’inspection des navires de pêche de 24 mètres et plus qui naviguent en haute mer. Son application permettra également aux autorités portuaires des États signataires de mener des inspections tant sur l’activité de pêche proprement dite que sur les conditions de travail, assurant ainsi la transparence de la pêche et des activités des équipages. L’Accord comporte des mesures de sécurité minimales qui reflètent les dispositions de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), un traité international juridiquement contraignant relatif à la sécurité des navires marchands, qui est entré en vigueur en 1980. Il permet aussi l’harmonisation des protocoles d’inspection concernant la pêche, les conditions de travail et la sécurité.
Que couvre l’Accord du Cap ?
L’Accord du Cap s’applique aux navires de pêche mesurant 24 mètres et plus ou l’équivalent en tonnage brut.2 Nombre des exigences techniques précisées ci-dessous ne s’appliquent qu’aux navires neufs, mais certaines concernent tous les navires, actuels et futurs.
Les États parties prenantes de l’Accord ont jusqu’à dix ans pour mettre en œuvre les dispositions relatives aux radiocommunications (chapitre IX de l’Accord) et jusqu’à cinq ans pour celles qui concernent les dispositifs de sauvetage (chapitre VII), les procédures d’urgence (chapitre VIII) et les équipements de navigation (chapitre X). Les États disposent donc d’un délai important pour se préparer à l’entrée en vigueur de ces dispositions. En outre, un État signataire de l’Accord peut décider d’en exclure un navire, s’il considère que la mise en conformité serait déraisonnable ou si le navire ne navigue que dans sa zone économique exclusive.
Pour garantir la sécurité des navires, leur conception, leur construction et leur équipement doivent faire l’objet d’inspections et de contrôles. Ceux-ci peuvent être menés par une agence compétente de l’État du pavillon ou par une autorité déléguée, par exemple un centre technique ou une société de classification. L’Accord stipule que les dispositifs de sauvetage, les installations radio, la structure, les machines et les équipements doivent faire l’objet d’une inspection avant leur mise en service, puis au plus tard tous les cinq ans. Les résultats détaillés de ces inspections seront ensuite consignés dans un document constituant le Certificat international de sécurité du bateau.3 Lorsqu’un navire fait l’objet d’une dérogation, son armateur doit conserver en permanence le certificat d’exemption à bord du navire pour pouvoir le présenter lors d’une inspection. Les certificats peuvent être inspectés par tout État signataire de l’Accord ; ces derniers s’engagent à en reconnaître la validité.
Les chapitres II à X de l’Accord précisent les exigences en matière de conception, construction et équipement des navires de pêche. Elles sont regroupées en trois catégories selon la taille du navire : 24 à 45 mètres, 45 à 60 mètres, et plus de 60 mètres. Ces normes visent à assurer l’étanchéité, la résistance aux intempéries, la sécurité et la stabilité des bateaux, y compris dans des conditions météorologiques très défavorables, notamment en présence de glace ou lors de phénomènes météorologiques extrêmes. Des orientations sont données pour garantir la sécurité des équipages, la présence de dispositifs de sauvetage en nombre suffisant et la mise en place de consignes adéquates en cas d’urgence. L’Accord précise que des exercices de simulation doivent être organisés régulièrement, et que l’ensemble de l’équipage et des observateurs doivent y participer. En outre, les navires doivent être dotés d’équipements de radiocommunication capables de diffuser et de recevoir les informations de recherche et de sauvetage, les signaux de détresse et toute autre communication pertinente. Ils doivent aussi être en mesure de naviguer et de communiquer de manière sécurisée.
Les dispositions de l’Accord s’appliquent aux bateaux mesurant 24 mètres et plus, car il s’agit du profil type de ceux que l’on trouve en haute mer ou en dehors de leurs eaux nationales. Il existe des millions de navires de pêche de moins de 24 mètres, mais ils opèrent généralement à l’intérieur des zones économiques exclusives des pays et sont soumis aux réglementations de sécurité nationales. L’OMI, en collaboration avec la FAO et l’OIT, a élaboré plusieurs instruments non contraignants relatifs à la sécurité de ces navires plus petits, que les gouvernements et d’autres parties prenantes concernées peuvent transposer dans leurs propres réglementations.4
L’Accord dispose d’une clause dite de « non-traitement de faveur » (Article 4[7]). Elle prévoit que tout navire entrant dans un port d’un État signataire soit soumis aux mêmes normes d’inspection, y compris si l’État du pavillon auquel il est rattaché n’a pas ratifié ou adhéré à l’Accord. Cette clause permettrait aux États de contrôler tous les navires qui entrent dans leurs ports et de renforcer les normes de sécurité à travers le monde.
Les exemples suivants montrent comment la ratification de l’Accord profiterait aux États du pavillon et du port, ainsi qu’aux marchés des produits de la pêche, et quel serait son impact immédiat.
Pour les États côtiers, la ratification et la mise en œuvre de l’Accord imposeraient des normes de sécurité plus strictes aux bateaux présents dans leurs eaux territoriales. Cela permettrait notamment de minimiser les risques qu’encourent leurs ressortissants, marins et observateurs présents à bord des navires battant pavillon étranger. La mise en place de normes globales réduirait les risques d’accident dans leurs eaux – par exemple, les naufrages, incendies, chavirements ou collisions –, événements nécessitant généralement l’intervention des autorités maritimes ou des garde-côtes. L’inspection des navires battant pavillon étranger s’en trouverait également facilitée. La transparence des activités de la pêche, des conditions de travail et des normes de sécurité serait grandement améliorée, même si l’État du pavillon du bateau n’est pas signataire de l’Accord. (Mis en évidence dans la clause dite de « non-traitement de faveur ».)
La ratification d’un traité peut vite provoquer des lourdeurs administratives, et il peut être difficile d’avancer rapidement. Dans de tels cas, l’OMI peut fournir une assistance juridique et technique sur demande.
Pour les États du pavillon, la ratification de l’Accord mettrait en place des normes de sécurité minimales pour une grande partie des flottes de pêche, et pourrait contribuer à sauver les vies de milliers de pêcheurs en haute mer. La mise en place de normes applicables aux navires battant pavillon de l’État et l’organisation d’inspections régulières conformes à l’Accord permettront d’améliorer la transparence des activités de pêche ainsi qu’en matière de sécurité et de conditions de travail à bord. Les armateurs seront contraints d’investir dans
la sécurité et le confort des équipages, et ne pourront plus aussi aisément exploiter les travailleurs. Les inspections régulières rendront également la pêche illégale plus difficile. Les États appliquant l’Accord pourront ainsi démontrer à la communauté internationale leur détermination à contrôler leurs navires et à prendre pleinement leurs responsabilités.
Les dispositions relatives à la conception et la construction s’appliqueront à de nombreux navires, mais la plupart d’entre elles ne concerneront que les navires neufs. L’Accord permettant une mise en œuvre progressive de ses dispositions, les États ne sont pas contraints à faire immédiatement appliquer les changements visant la conception, la construction ou l’équipement des bateaux composant leur flotte (voir le Tableau 1).
Les États disposant d’installations portuaires de niveau international et d’une forte biodiversité seraient en mesure de mieux protéger les stocks dans leurs eaux territoriales. Dans leur quête permanente d’exploitation de ressources naturelles, les armateurs de pêche INN ciblent prioritairement les eaux et les ports qu’ils savent peu ou mal surveillés et contrôlés. Et quand de ceux en mauvais état naviguent près des ports, ils augmentent les risques de collisions et d’échouage, qui peuvent mobiliser d’importants moyens de recherche et de sauvetage. La ratification et la mise en oeuvre de l’Accord permettraient à un État du port de disposer d’un nouvel instrument pour l’inspection des navires, ce qui contribuerait à améliorer la sécurité de ceux qui opèrent dans ses eaux territoriales et accroîtrait les possibilités d’identification de pratiques de pêche INN. Cela permettrait aussi d’améliorer la sécurité des navires inscrits sur son registre et réduirait le risque d’accident dangereux dont la résolution demande du temps et des moyens financiers importants.
Pour les États aux flottes moins importantes, l’apport de modifications techniques affectant la législation en vigueur serait limité. Toutefois, la ratification d’un traité produit toujours des lourdeurs administratives. C’est pour cela que l’OMI offre une assistance juridique et technique sur demande.
Les États du marché peuvent garantir à leurs consommateurs que les marins ayant participé à la capture des produits qu’ils consomment travaillent dans des conditions sécurisées et décentes. Nombre de ces États disposent déjà de lois nationales qui respectent ou vont audelà des dispositions de l’Accord. Ces législations nationales garantissent que leurs navires travaillent déjà dans un contexte de sécurité optimale. Toutefois, l’entrée en vigueur de l’Accord permettrait aux États du marché d’appliquer ces exigences aux navires étrangers qui importent des produits de la mer pour répondre à la demande de leurs consommateurs, améliorant ainsi leur sécurité. Les consommateurs des principaux États du marché sont de plus en plus attentifs à la provenance de ce qu’ils achètent. L’entrée en vigueur de l’Accord permettrait aux États du marché d’avoir une influence sur les chaînes d’approvisionnement internationales et contribuerait à relever les normes de sécurité des navires et à sauver la vie de nombreux pêcheurs. La mise en œuvre de l’Accord peut venir compléter les lois en vigueur concernant la sécurité et la pêche INN et illustrer le leadership mondial de ces États en la matière.
La plupart des navires sous pavillon respectent déjà les exigences précisées par l’Accord. Le fardeau technique sera donc moins lourd.
Les délégations nationales auprès de l’OMI peuvent informer le secrétariat de la volonté de leur État de ratifier l’Accord et demander à bénéficier d’une assistance technique et juridique s’ils le souhaitent. Lorsqu’ils déposeront leur dossier de ratification auprès de l’OMI, les délégués devront préciser le nombre de bateaux qu’ils veulent inscrire dans le cadre de l’Accord. L’OMI a publié des orientations pour les aider à calculer ce chiffre. Si l’État candidat à la ratification ne connait pas ce chiffre, la FAO peut le lui communiquer, dès lors qu’il est partie prenante dans l’accord de la FAO visant à favoriser le respect des mesures internationales de conservation et de gestion par les navires de pêche en haute mer. Si aucune de ces options n’est applicable, ce chiffre sera obtenu à partir des bases de données des Organisations régionales de gestion de la pêche ou d’autres bases de données maritimes internationales.5
L’entrée en vigueur de l’Accord fournirait aux États l’outil idéal pour garantir, à bord des navires battant leur pavillon, la sécurité de leurs équipages, la sécurité et la légalité des activités de pêche, mais aussi démontrer qu’en tant qu’États du pavillon, ils assument leurs responsabilités et leurs obligations en matière de sécurité. Cela encouragerait les armateurs à adopter une approche responsable de la pêche, qui reste une activité intrinsèquement dangereuse. Cela aiderait aussi les États à protéger leurs ressortissants qui travaillent à bord de navires étrangers ainsi qu’à atténuer le risque de voir des captures issues de la pêche INN arriver sur leurs marchés.
En ratifiant l’Accord, les membres de l’OMI peuvent considérablement réduire la surexploitation des océans et la paupérisation des personnes qui en dépendent. L’entrée en vigueur de l’Accord améliorerait la sécurité et les conditions de travail de l’une des professions les plus dangereuses au monde, et contribuerait à empêcher les armateurs les moins scrupuleux à tirer profit de la pêche INN.
SOLAS |
Organisation maritime internationale, Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer |
STCW |
Organisation maritime internationale, Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille |
LL |
Organisation maritime internationale, Convention internationale sur les lignes de charge |
COLREGs |
Organisation maritime internationale, Convention sur le Règlement international pour prévenir les abordages en mer |
MLC |
Organisation internationale du travail, Convention du travail maritime |
MARPOL |
Organisation maritime internationale, Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires |
CTA |
Organisation maritime internationale, Accord du Cap sur la sécurité des navires de pêche |
STCW-F |
Organisation maritime internationale, Convention internationale sur les normes de formation du personnel des navires de pêche, de délivrance des brevets et de veille |
C188 |
Organisation internationale du travail, Convention sur le travail dans la pêche |
AMREP |
FAO, Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée |
Cette page a été mise à jour le 24 septembre 2019 pour refléter les conseils juridiques de l'Organisation maritime internationale précisant que la période de mise en œuvre progressive de l'Accord du Cap commence pour toutes les Parties une fois que l'Accord entre en vigueur - et non lorsqu'un instrument de ratification est déposé - et pour mettre en évidence les exceptions pertinentes.