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En juin 2015, les chefs d’État du monde entier ont pris l’extraordinaire décision d’oeuvrer à l’élaboration d’un accord international en faveur de la protection et de l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale, y compris en haute mer. Ces zones, qui représentent les deux tiers des océans de la planète, sont gérées par une mosaïque d’institutions et d’organes de règlementation de la pêche, de l’exploitation minière, du transport maritime et d’autres activités dans des zones marines spécifiques. Ces institutions et organes ne sont pas habilités à créer un réseau exhaustif d’aires marines protégées et de réserves marines ou une quelconque politique de conservation visant à protéger la biodiversité dans un écosystème.
Le nouveau traité pourrait contribuer à combler les lacunes identifiées en matière de gouvernance des océans et à mettre en oeuvre des mesures de protection indispensables. Toutefois, le succès de cet accord dépendra du processus de négociation qui aura lieu tout au long de l’année 2017 dans le cadre des réunions du Comité préparatoire (PrepCom) des Nations unies.
Le problème fondamental consistera à respecter les objectifs de conservation et d’utilisation durable d’un nouvel accord international sans compromettre les organisations existantes qui régissent actuellement l’activité humaine et l’utilisation des ressources en haute mer.
Nous analysons ici trois scénarios qui reflètent les idées avancées par les États afin de déterminer quel type d’accord institutionnel serait le plus adapté à produire des avantages en matière de conservation marine. Les scénarios ont été évalués à partir des critères suivants :
Dans ce scénario, plutôt que de créer un nouvel organe décisionnel, les décideurs adopteraient un accord visant à fournir des directives générales aux États qui deviennent des États parties. Cet accord permettrait d’élaborer et de clarifier certains principes et obligations en vertu du droit international, mais leur mise en oeuvre serait laissée à la discrétion des États parties. Les organisations régionales et sectorielles en place, comme les organisations régionales de gestion de la pêche (ORGP), l’Organisation maritime internationale (OMI) ou l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) et autres, seraient impliquées à la seule discrétion des États qui sont parties à la fois du nouvel accord et de ces organisations.
Le nouvel accord pourrait en outre demander ou exiger des États parties qu’ils rendent compte régulièrement de leurs progrès en matière d’exécution des activités de protection en haute mer. En revanche, les organisations pertinentes en place pourraient être invitées à établir un rapport, sans que cela constitue une obligation contraignante. Toutefois, dans ce cas de figure, l’accord ne pourrait pas pallier les lacunes de gouvernance que l’absence d’organisme compétent pourrait entraîner, ni les lacunes de mise en oeuvre qui pourraient émerger si un organisme compétent venait à manquer à ses obligations. Même si un processus d’établissement de rapports réguliers permettrait d’assurer la coordination entre les États parties, en l’absence de secrétariat, d’organisme décisionnel ou de comité scientifique, il n’existerait aucun mécanisme institutionnel capable de créer une base de données commune, d’adopter ou d’exécuter les plans de gestion intersectoriels, ou encore d’améliorer la coordination entre les organisations en place. Cette absence d’autorité pourrait compromettre les objectifs prévus aux termes du nouvel accord.
Même si son coût initial semble modéré, il y a de fortes chances que ce scénario nécessite l’apport de fonds additionnels pour renforcer l’aptitude et la capacité des organisations en place ou la mise sur pied de nouvelles organisations ou organismes de coordination régionaux capables de mener à bien les nouvelles mesures de protection, comme la création d’aires marines protégées et réserves marines. Un tel arrangement ne contribuerait cependant pas au renforcement ou à la modernisation de ces organisations, de sorte que la bonne mise en oeuvre des objectifs de protection proposés serait incertaine.
Ce scénario prévoit la mise en place d’un organisme consultatif mondial avec Conférence des Parties (CdP), appuyé par un secrétariat et un ou plusieurs comités consultatifs scientifiques et/ou techniques. Cet organisme consultatif serait habilité à formuler des recommandations non contraignantes pour des mesures précises de protection et d’utilisation durable, avec l’apport de l’organisme consultatif scientifique et/ou technique compétent, ainsi que des organisations existantes, la société civile et d’autres parties prenantes concernées. Les États parties, de manière individuelle et par l’intermédiaire des organisations régionales et sectorielles auxquelles ils appartiennent, seraient encouragés à poursuivre des activités tendant à la mise en oeuvre de ces mesures.
La CdP pourrait également porter ces mesures spécifiques à la connaissance des organisations régionales et sectorielles sous forme de recommandations. Toutefois, comme ces organismes ne seraient pas parties à l’accord et, surtout, du fait de la nature non contraignante des recommandations faites par la CdP, lesdits organismes ne seraient pas dans l’obligation d’exécuter les demandes faites par la CdP. En revanche, les parties à l’accord seraient juridiquement contraintes de prendre des mesures de protection si les organisations en place (dont elles sont également membres) venaient à adopter des mesures pertinentes. Les États parties seraient tout au plus tenus de rendre régulièrement compte de leurs progrès nationaux dans la réalisation des mesures, et les organisations auxquelles l’exécution de telles mesures aurait été confiée pourraient se voir demander de faire part de leurs progrès.
Avec une CdP, un secrétariat et un organe consultatif scientifique, l’accord serait plus à même d’informer, d’aider et de coordonner les activités des organismes d’exécution, et l’organe consultatif scientifique permettrait à la CdP de recommander des mesures de conservation spécifiques. Toutefois, en raison de la nature non contraignante d’un tel accord, la CdP ne disposerait pas de l’autorité requise pour rendre responsables les États membres ou les organisations chargées de la mise en oeuvre. De même, les lacunes dans la gouvernance ou la mise en oeuvre imputables à l’absence d’organisme compétent, au manque de volonté politique d’une minorité de membres, ou aux défis de coordination entre les organismes régionaux ou sectoriels en place ne seraient pas explicitement abordées dans cet accord.
Les coûts directs associés à ce nouvel organisme consultatif mondial seraient la création d’un secrétariat et d’un organe scientifique. Des coûts additionnels seraient à prévoir pour renforcer les organismes régionaux en place et en créer de nouveaux dans le but de pallier les lacunes dans la gouvernance. Comme pour le premier scénario, un tel accord échouerait à renforcer ou à moderniser ces organisations, de sorte que la bonne mise en oeuvre des objectifs de protection proposés serait incertaine.
Le dernier scénario concerne un accord en vertu duquel un organe décisionnel mondial (par ex., la CdP) adopterait des mesures spécifiques contraignantes pour ses parties, avec l’apport de l’organisme consultatif scientifique et/ou technique approprié. Comme pour le deuxième scénario, la CdP tiendrait compte des recommandations faites par la société civile, les organisations en place et autres parties prenantes, le cas échéant. Les États parties seraient dans l’obligation de poursuivre ces mesures individuellement en ce qui concerne les activités relevant de leur juridiction ou de leur contrôle (par ex., État du pavillon, État du port, etc.), et aussi par l’intermédiaire des organisations de mise en oeuvre régionales et sectorielles auxquelles ils pourraient appartenir.
Ce modèle est conforme aux pouvoirs dont disposent actuellement les États pour l’adoption de normes supérieures applicables à leurs propres ressortissants et navires. Toutefois, il ne part pas du principe que toutes les mesures adoptées dans le cadre de ce scénario puissent être immédiatement contraignantes ou applicables à d’autres États. Par exemple, les mesures adoptées susceptibles d’entraver la liberté de navigation, qui relève de l’autorité exclusive de l’Organisation maritime internationale (OMI), devraient être poursuivies par les États par l’intermédiaire de l’OMI. Comme avec le deuxième scénario, tandis que la CdP pourrait communiquer les décisions prises aux organisations régionales et sectorielles dont les compétences se chevauchent, celles-ci ne seraient aucunement obligées de les exécuter. Ce scénario permettrait à ses parties d’adopter des mesures de protection coordonnées et contraignantes, et à la CdP de combler les lacunes là où aucune organisation n’existe pour traiter de l’espace géographique ou de l’activité en question et de coordonner de manière plus active les activités des organisations de mise en oeuvre.
L’accord obligerait les États membres à faire régulièrement rapport sur leurs progrès vers la mise en oeuvre et à demander des rapports aux organisations existantes. Les mesures contraignantes dans ce scénario assureront une plus grande responsabilisation des États parties en ce qui concerne l’objectif d’obtenir de réels avantages de conservation en haute mer. Comme pour le deuxième scénario, des fonds devront être alloués à la création d’une CdP, d’un secrétariat et d’un comité consultatif scientifique/technique. Toutefois, dans ce scénario, la CdP serait en mesure de combler davantage les lacunes de gouvernance et de mise en oeuvre, de sorte que la création et le financement de nouvelles organisations pourraient ne pas être nécessaires, bien que l’aide financière aux organisations existantes puisse encore être bénéfique.
Pour répondre aux objectifs fixés par l’Assemblée générale des Nations unies, visant à protéger efficacement et à utiliser durablement la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale (ABNJ), les négociateurs des réunions PrepCom et la conférence intergouvernementale consécutive devraient s’efforcer de parvenir à un accord qui veillerait à ce que les écosystèmes et la biodiversité soient suffisamment pris en compte et protégés de manière exhaustive, même en l’absence d’organisation régionale ou sectorielle.
La protection de la biodiversité nécessitera un accord institutionnel qui oblige les États et les organisations existantes à s’acquitter de leurs engagements et mandats internationaux, assure la coordination des activités des divers organes existants, comble les lacunes dans la mise en oeuvre (par ex., en raison de l’absence d’organisation compétente dans une région géographique spécifique) et ne représente pas un coût financier trop lourd. Cette analyse n’a pas cherché à évaluer tous les accords institutionnels proposés, mais plutôt à illustrer des modèles représentatifs des idées avancées par les États.
Les premier et deuxième scénario nécessiteraient la création d’organisations additionnelles pour combler les lacunes géographiques, là où aucune organisation compétente n’existe pour mettre en oeuvre les mesures qui permettront de parvenir aux objectifs prévus par l’accord. Le troisième scénario est le seul à prévoir un organisme décisionnel central capable d’identifier des mesures spécifiques qui, si certaines conditions étaient satisfaites, seraient contraignantes pour les États membres.
Bien que ce scénario exigerait davantage de ressources financières et humaines que le statu quo pour prendre en charge le financement d’un secrétariat, d’une CdP et d’organes scientifiques/techniques, il fournirait l’infrastructure et une responsabilité suffisantes pour permettre une coordination efficace entre les organisations régionales et sectorielles existantes, sans nécessiter l’appui de trop nombreux intermédiaires. Les États devraient s’efforcer de négocier un accord qui englobe les éléments de base présentés dans le troisième scénario.