Il est de plus en plus évident que l'humanité doit protéger davantage l'océan, qui génère environ la moitié de l'oxygène de la planète, régule notre climat et abrite 80 % de la vie sur Terre. Pourtant, la santé des océans est gravement menacée par les activités humaines, qui précipitent l'effondrement des pêcheries, la perte de biodiversité et l'acidification de l'eau de mer.
Les dirigeants politiques, la société civile, les communautés et les scientifiques prennent de plus en plus conscience que les gouvernements et les autres organismes de réglementation doivent protéger et préserver au moins 30 % des zones côtières et marines de la planète d'ici 2030 pour garantir et maintenir la santé de l'océan. Les aires marines protégées (AMP) sont le principal outil de conservation des écosystèmes marins. Deux études récentes montrent toutefois que la conception et la gestion de ces zones affectent considérablement leur capacité à procurer les bénéfices souhaités, tant sur le plan environnemental que social.
La majorité des AMP mondiales ne sont que partiellement protégées. Cela signifie qu'elles restreignent certaines activités extractives, mais en autorisent plusieurs autres, souvent nuisibles, comme la pêche commerciale. Selon une étude récente portant sur les AMP situées le long de la côte sud de l'Australie, ces aires sont nettement moins efficaces pour préserver la biodiversité que celles soumises à des restrictions plus strictes.
L'étude, publiée en janvier dans la revue Conservation Biology, a comparé des AMP partiellement et totalement protégées le long de 7 000 kilomètres de la partie méridionale de la Grande Barrière australienne. En examinant les données relatives à la biodiversité et à l'abondance, les chercheurs n'ont pas trouvé plus de poissons, d'invertébrés ou d'algues dans les aires partiellement protégées que dans les eaux non protégées. Les aires entièrement protégées, en revanche, comptaient 30 % d'espèces de poissons en plus et une biomasse de poissons 2,5 fois plus importante que dans les zones sans restrictions.
Une autre étude, publiée ce mois-ci dans Marine Policy, a examiné les effets à long terme des AMP sans capture au Kenya. Elle a montré que les protections élevées augmentaient les populations de poissons de 42 % et étaient plus efficaces pour maintenir les stocks comparées aux zones où les restrictions ne s'appliquent qu'aux méthodes de pêche.
Les chercheurs ont examiné les prises de poissons enregistrées sur 24 ans dans deux comtés kenyans, ce qui représente la plus longue étude jamais réalisée disposant d'un enregistrement continu et détaillé des captures de poissons dans les récifs coralliens. L'un des comtés a mis en place une AMP entièrement protégée couvrant 30 % de ses zones de pêche, tandis que l'autre a appliqué des restrictions uniquement sur les engins de pêche, avec notamment l'interdiction des filets à petites mailles. L'étude a mis en évidence que les captures quotidiennes par personne augmentaient 25 fois plus vite dans les eaux entourant l'AMP sans capture que dans les aires où seules les restrictions sur les engins étaient appliquées. Bien que les chercheurs aient observé certains bénéfices écologiques à court terme dans les zones où les engins de pêche sont limités, ces politiques n'ont pas permis, à long terme, de maximiser la productivité de la pêche.
En préservant 30 % de ses zones de pêche à l'aide d'une AMP entièrement protégée, le comté de Mombasa a pu non seulement compenser la perte de zones de pêche, mais aussi bénéficier d'une augmentation substantielle des populations de poissons. Comme l'explique l'étude, les AMP sans capture « aident donc les populations fortement dépendantes de la pêche à assurer leur revenu et leur sécurité nutritionnelle, qui disparaissent lorsque les captures ne sont pas durables ».
Ces deux études s'appuient sur un nombre croissant de recherches qui montrent l'importance de protections fortes pour obtenir des bénéfices en matière de conservation. Une étude publiée en 2018, qui a examiné les AMP du monde entier, a révélé que les eaux hautement protégées présentaient une biomasse et une abondance plus élevées des espèces de poissons commerciales que les zones non protégées, tandis que les zones faiblement réglementées présentaient des bénéfices écologiques minimes. De même, les chercheurs qui ont examiné la mer Méditerranée ont constaté que seulement 28 % des zones protégées imposaient une réglementation de la pêche suffisante pour réduire les impacts humains sur la biodiversité. Les données scientifiques nous indiquent que les AMP entièrement protégées et bien gérées restent le meilleur outil pour préserver la biodiversité et les écosystèmes, améliorer la sécurité alimentaire à long terme et garantir les moyens de subsistance provenant de l'océan.
La Convention des Nations unies sur la diversité biologique négocie actuellement une nouvelle stratégie décennale pour la nature et l'homme, qui comprend un projet de texte visant à protéger et à conserver au moins 30 % de l'océan au niveau mondial d'ici 2030. Le plan établirait un « cadre de biodiversité post-2020 » pour la conservation et la restauration de la nature, qui intègre de nombreux objectifs inclus dans les objectifs de développement durable des Nations unies et l'accord de Paris sur le climat. Par ailleurs, il définirait de nouvelles étapes et de nouveaux objectifs pour la préservation de la nature jusqu'en 2030 et au-delà. Alors que les dirigeants mondiaux s'efforcent d'atteindre ces objectifs, il est essentiel qu'ils prennent en compte la qualité des mesures de protection, et pas seulement leur quantité, en se concentrant sur celles qui se sont révélées efficaces et qui contribuent à garantir la santé à long terme de notre planète.
Jérôme Petit et Johnny Briggs sont respectivement responsable et chargé de mission du projet Héritage des océans de Pew et Bertarelli.