Les écosystèmes marins diversifiés de la Polynésie française recèlent plus de 20 espèces de requins et un système de récifs coralliens exceptionnellement sain qui abrite 176 espèces de coraux et 1 024 espèces de poissons, certaines d'entre elles ne se rencontrant nulle part ailleurs. Les habitants de ce territoire français d'outre-mer sont fortement attachés à cet environnement dont ils dépendent. Toutefois, les mers qui entourent ces îles du Pacifique sont confrontées à diverses menaces, de la destruction des habitats, la surpêche et le blanchiment des coraux à l'acidification des océans, en passant par la pollution marine et les conséquences de l'aménagement du littoral.
Ce sont les principales raisons pour lesquelles les communautés locales de ce territoire font pression en faveur de mesures de protection de l'océan visant à préserver les stocks de poissons commerciaux en déclin et les espaces d'importance biologique de la zone économique exclusive (ZEE) de la Polynésie française. Plus précisément, la population souhaite majoritairement préserver les eaux des îles Australes et des îles Marquises au moyen du statut d'aire marine protégée (AMP), qui interdit toutes les activités d'extraction à grande échelle, telles que la pêche industrielle et l'exploitation minière.
De nombreuses études scientifiques ont démontré que les grandes réserves marines entièrement protégées avaient un effet bénéfique sur la santé de l'océan. Elles offrent des refuges où les espèces marines peuvent se nourrir et se reproduire sans être menacées par la pêche, l'exploitation minière des fonds marins ou d'autres activités d'extraction. Elles contribuent également au maintien et à l'accroissement de la biodiversité ainsi qu'à la préservation des cultures traditionnelles étroitement liées à la mer. En Polynésie française, les AMP renforceraient les zones de pêche artisanale situées autour des îles et permettraient aux poissons de se reproduire et de croître en toute sécurité. Par ailleurs, selon les experts, le fait de protéger de vastes zones renforce également la résilience de l'écosystème marin au changement climatique.
Ce sont les raisons pour lesquelles l'Union internationale pour la conservation de la nature réclame que 30 % de l'océan de la planète soit préservé au moyen d'un réseau composé d'AMP hautement protégées et d'autres zones protégées. À l'heure actuelle, moins de 3 % de l'océan bénéficie d'une telle protection.
Tout au long de leur histoire, les Polynésiens ont pratiqué le « rāhui », une tradition consistant à restreindre périodiquement la pêche et d'autres activités dans une zone donnée afin de permettre à la vie de s'y rétablir. Aujourd'hui, la pratique généralisée de la pêche intensive dans le Pacifique exerce toutefois une pression excessive sur ces îles éloignées et menace le mode de vie des Polynésiens, tributaire de l'océan. C'est l'une des raisons pour lesquelles une enquête réalisée en 2019 a révélé que près de 80 % des habitants de la Polynésie française pensent que leurs eaux sont en mauvaise santé et insuffisamment protégées, tandis que 75 % d'entre eux estiment que le nombre de poissons présents dans ces mêmes eaux est en baisse.
Les eaux entourant les îles Marquises abritent plus de 550 espèces de poissons, dont 26 espèces de requins et de raies, et constituent une zone de reproduction importante pour le thon obèse, qui est inscrit sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature en tant qu'espèce menacée.
En juin 2018, la Communauté de communes des îles Marquises (CODIM) a officiellement proposé au gouvernement de la Polynésie française la création d'une AMP de 430 000 kilomètres carrés autour de l'archipel. En vertu de cette proposition, la pêche industrielle, l'exploitation minière industrielle et les autres activités d'extraction à grande échelle seraient interdites au sein de l'AMP, mais la pêche artisanale serait autorisée dans un rayon de 50 milles nautiques autour de chaque île afin de favoriser le développent économique. L'AMP Te Tai Nui a Hau permettrait également à l'activité en développement de la pêche au thon à la palangre de se poursuivre en dehors de l'aire protégée.
En raison de leur isolement (elles se situent à mi-chemin entre l'Australie et l'Amérique du Sud) et de leur topographie extrêmement variée, les îles Australes abritent une biodiversité riche et de nombreuses espèces que l'on ne trouve nulle part ailleurs. L'île de Rapa abrite 112 espèces de coraux, 250 espèces de mollusques et 383 espèces de poissons, tandis que les eaux cristallines situées au large de Rurutu figurent parmi les meilleurs endroits de la planète pour observer les baleines à bosse.
En 2016, les maires des cinq îles habitées de l'archipel des Australes se sont réunis pour proposer au gouvernement central de Tahiti de créer une vaste AMP hautement protégée dans leurs eaux. Cette proposition prévoit d'autoriser la pêche artisanale dans un rayon de 20 milles nautiques autour de chaque île. La réserve de Rāhui Nui nō Tuha’a Pae serait l'une des plus vastes au monde : elle occuperait près d'un million de kilomètres carrés dans les eaux du Pacifique Sud.
En juin 2020, le Conseil des ministres de la Polynésie française a annoncé son intention de solliciter l'UNESCO pour que ces eaux soient désignées « réserve de biosphère » d'ici 2023. Ce type de réserve doit comprendre des zones strictement protégées propices à la conservation, et sa conception peut être alignée sur les normes scientifiques internationales applicables aux AMP.
Le projet Héritage des océans de Pew et Bertarelli soutient les communautés qui œuvrent en faveur de la création de vastes AMP entièrement protégées autour de ces îles au profit du peuple polynésien, dans le cadre de la création d'un réseau mondial d'aires protégées. Le projet collabore avec les gouvernements, les communautés locales et d'autres partenaires, et soutient les recherches portant sur les impacts économiques et écologiques des grandes AMP.
Plusieurs de ces études montrent qu'une protection totale constitue le moyen le plus efficace de préserver les écosystèmes marins et qu'il s'agit de la seule façon de maximiser les bénéfices écologiques d'une zone océanique. La création d'AMP dans les eaux des îles Australes et des îles Marquises offre à la France et à la Polynésie française l'opportunité de contribuer à l'effort mondial visant à protéger et à restaurer la santé de l'océan tout en préservant le mode de vie traditionnel et actuel des Polynésiens.
Jérôme Petit dirige le projet Héritage des océans de Pew et Bertarelli en Polynésie française et Donatien Tanret en est le chargé de mission.