Cet article est le septième d'une série consacrée aux efforts menés depuis une décennie pour protéger les requins.
Tous les ans, entre 63 et 273 millions de requins sont tués par la pêche commerciale, principalement en raison du commerce d'ailerons et d'autres produits issus de ces espèces. Ce niveau de pêche non durable a contribué au renforcement de la protection des requins au cours des six dernières années. Pour ces prédateurs longtemps méconnus, un tournant s'est produit en 2013, année où les premières espèces de requins et de raies commercialisées ont été inscrites à l'Annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). La CITES est depuis lors devenue un acteur incontournable de la conservation et de la gestion des requins au niveau mondial, de nombreux pays s'étant engagés à veiller à ce que leur commerce soit durable et légal et que les espèces soient correctement gérées.
Pour mieux comprendre les inscriptions décisives de 2013 et l'intérêt grandissant pour la protection des requins, The Pew Charitable Trusts s'est entretenu avec le colonel Abba Sonko, chef de l'organe de gestion de la CITES au Sénégal, et Daniel Fernando, cofondateur du Blue Resources Trust, basé au Sri Lanka. Le Sénégal et le Sri Lanka figurent parmi les pays ayant plaidé en faveur de l'inscription des requins lors de la récente Conférence des parties de la CITES de Genève, au cours de laquelle 18 espèces de requins et de raies ont été ajoutées à l'Annexe II.
Sonko : L'inscription de 2013 a contribué à sensibiliser les pays à la vulnérabilité de ces espèces, en particulier en Afrique de l'Ouest. Par la suite, nous avons élaboré des programmes pour mettre en œuvre des inscriptions et sensibiliser les pêcheurs, ainsi que la Commission sous-régionale des pêches, qui regroupe sept pays d'Afrique de l'Ouest.
Fernando : Avant 2013, de nombreuses parties à la CITES n'avaient pas connaissance des menaces auxquelles sont confrontées les requins et les raies. La situation a évolué depuis, de sorte qu'au fil des ans, d'autres pays et leur organe de gestion CITES respectif ont reconnu que la gestion adéquate de ces espèces était essentielle pour assurer une pêche durable. L'application efficace de la Convention depuis les inscriptions de 2013 est un bon présage pour la réussite des prochaines inscriptions.
Sonko : Lors de la CoP16, le Sénégal a exhorté l'Afrique de l'Ouest à soutenir les propositions relatives aux requins et aux raies, ce qui a été crucial pour l'adoption de ces inscriptions. Le Sénégal a accueilli le tout premier atelier de mise en œuvre des inscriptions CITES organisé dans la région en 2014, ainsi que les ateliers suivants. Nous avons élaboré des programmes de sensibilisation aux inscriptions CITES, notamment dans les écoles, car il est important d'éduquer à la fois les adultes et les jeunes, qui représentent les leaders de demain. En collaboration avec le Département des Pêches, nous avons produit plus de 3 000 guides d'identification des espèces, que nous avons diffusés auprès des principaux ports de pêche du Sénégal. Sur le plan régional, nous avons partagé ces guides avec les pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, et nous avons organisé des ateliers pour aider les pays à identifier efficacement les espèces de requins et de raies inscrites à la CITES et à élaborer des programmes nationaux de sensibilisation. Sur le plan national, nous travaillons actuellement au renforcement de notre législation afin d'améliorer l'application de la CITES.
Fernando : Le Sri Lanka a accueilli plusieurs ateliers régionaux consacrés aux outils d'identification des requins et des raies et des rencontres pour discuter de la gestion coordonnée de ces espèces. Sur le plan national, la formation renforcée des douaniers, le plan d'action national révisé pour les requins et les avis de commerce non préjudiciable (ACNP) résultant des inscriptions à la CITES permettent d'améliorer la collecte de données et d'encourager l'élaboration de mesures de gestion supplémentaires pour mieux protéger ces espèces.
Sonko : Il est vraiment important d'élaborer des programmes de mise en œuvre de la CITES pour les espèces nouvellement inscrites si nous voulons que ces inscriptions produisent l'effet escompté. Jusqu'à présent, les outils que nous avons le plus utilisés sont les guides d'identification des ailerons de requin.
Fernando : Les inscriptions des requins à la CITES ont été respectées avec un succès sans précédent par rapport aux autres espèces inscrites. Outre les guides d'identification et les affiches, un document d'orientation et un modèle électronique d'ACNP ont été élaborés et diffusés dans le monde entier.
Sonko : Nous l'espérons. Une fois les inscriptions adoptées, nous avons demandé aux parties, qu'il s'agisse de pays importateurs ou exportateurs, de les mettre en œuvre. Par exemple, si des ailerons de requins quittent le Sénégal pour Hong Kong et que Hong Kong n'applique pas les dispositions de la CITES, cela signifie que notre travail de mise en œuvre comporte des lacunes. Cela dit, les pays étant de plus en plus vigilants, lorsque des produits détaillés arrivent à destination, les différentes parties prenantes chargées d'appliquer les dispositions de la CITES, comme les douaniers, assurent une meilleure traçabilité et un contrôle accru de la légalité des opérations.
Fernando : Comme pour tout commerce lucratif, les mesures réglementaires entraînent invariablement l'émergence d'un commerce illégal. Toutefois, à mesure que la mise en œuvre s'étendra et s'améliorera, et que l'on prendra conscience de la nécessité de bien gérer les requins, la conformité augmentera. Une meilleure conformité sera également obtenue lorsque les pays imposeront des sanctions plus sévères contre le commerce illégal des espèces sauvages dans son ensemble.
Sonko : Si le Sénégal s'efforce de faire inscrire des espèces à la CITES, c'est en partie parce que notre littoral s'étend sur 1 600 km et que les raies et les requins sont des ressources mobiles. Les espèces qui longent nos côtes navigueront également dans les eaux de la Mauritanie, de la Gambie, de la Guinée et du Maroc. Si ces pays n'acceptent pas les dispositions réglementaires prises par le Sénégal, nous pourrons difficilement assurer la viabilité de notre pêche. Le Sénégal ne peut à lui seul mener le combat.
En tant que représentant de la CITES pour le Sénégal, je prends en compte les impératifs de protection au niveau de mon pays, et aux niveaux régional et mondial. Si le Sénégal perd une espèce, je considère que la planète la perd aussi. Je défends nos priorités nationales tout en m'efforçant d'obtenir le soutien de la région et du monde entier.
Fernando : Pour un petit pays insulaire en développement comme le Sri Lanka, la pêche fait partie intégrante de notre économie et de nos moyens de subsistance. Pour assurer la pérennité de cette industrie lucrative et précieuse, il est essentiel que la capture et la commercialisation de toutes les espèces de poissons, y compris des requins et les raies, soient durables. Les conventions comme la CITES constituent des moyens efficaces pour favoriser des changements positifs en ce sens. Pour aller de l'avant, il est essentiel que les pays collaborent à l'élaboration de mesures et de stratégies de gestion conjointes, étant donné que la plupart des espèces de requins et de raies inscrites à la CITES ne peuvent tout simplement pas être gérées exclusivement au niveau national du fait qu'elles sont hautement migratrices. Cette coordination permettra également de renforcer et de développer les accords multilatéraux sur l'environnement et les organisations régionales de gestion des pêches existants.