À moins de deux mois de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, l'avenir de la politique de la pêche, sujet emblématique du débat outre-Manche, demeure incertaine. Il est difficile d'évaluer l'impact final qu'aura le Brexit sur la gestion de la pêche sans clarification quant aux modalités et quant au calendrier des accords concernant la sortie et les relations commerciales futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, ou sur ce qui se passerait en l'absence d'accord.
Il y a près de deux ans, j'avais rédigé un article sur les incidences que le Brexit pourrait avoir sur la politique britannique de la pêche. Tandis que les opportunités continuent à se dessiner, les risques ne sont pas écartés, à savoir qu’un affaiblissement de la politique pourrait se traduire par une poursuite de la surpêche. Londres a cependant clarifié ses ambitions concernant la gestion de la pêche l'an dernier dans un livre blanc et un projet de loi sur la pêche, , un des éléments majeurs de la législation pré-Brexit que le parlement est en train d'étudier.
Le projet de loi constitue déjà un succès en soi : les règles britanniques sur la pêche ayant vu leur champ d'application limité lorsque le pays était membre de l'UE, détricoter 40 années de législation européenne pour élaborer des règles britanniques constitue une tâche titanesque. Le projet de loi tente d'établir un équilibre entre des priorités contradictoires, par exemple assurer une continuité dès la sortie du pays de la Politique commune de la pêche (PCP) européenne, tout en laissant le Royaume-Uni affirmer ses pouvoirs et reprendre la main sur les politiques nouvellement rapatriées. L'équilibre étant cependant difficile à trouver, le Parlement met à l'épreuve la politique proposée par rapport à l'ambition affichée par le gouvernement, qui souhaite que le Royaume-Uni devienne un « leader mondial » de la gestion de la pêche, et à l'ambitieux livre blanc de juillet 2018, qui engageait le pays à « établir une référence en matière de pêche durable dans le monde entier. »
C'est à l'aune de ces ambitions que de nombreux parlementaires et experts indépendants estiment que le projet de loi présente des lacunes. Le projet de loi se focalise largement sur les pouvoirs que les décisionnaires britanniques vont récupérer après le Brexit, mais il ne propose pas de politique détaillée. Or, le peu de détails sur la façon dont ces pouvoirs seront exercés envoie déjà des signaux inquiétants indiquant que le Royaume-Uni a écarté les ambitions énoncées dans le livre blanc.
En outre, en omettant de poser des contraintes sur les décisions annuelles des ministres en matière de pression de pêche, le projet de loi diluerait une disposition essentielle en matière de durabilité présente dans a PCP. Cette omission fait suite à une consultation au cours de laquelle la majorité des répondants s'était prononcée en faveur d'une pêche durable. Les organisations du secteur de la pêche ont cependant demandé aux législateurs un « engagement plus général » que celui figurant dans la PCP. Dans le projet de loi, le gouvernement britannique répond sans doute à cette demande du secteur, mais il n'explique pas complètement ses actions.
En retirant l'engagement de la PCP de la loi britannique, Londres viserait en deçà des dispositions européennes pour l'intégration desquelles elle s'était pourtant battue lors de la réforme de la PCP il y a six ans. Pour aider à la reconstitution des stocks de poisson, le projet de loi devrait plutôt exiger que les limites de capture soient basées sur des recommandations scientifiques. Autrement, une pêche non durable pourra perdurer dans les eaux britanniques.
Sans les contraintes imposées sur les décisions annuelles, les ministres de la Pêche restent susceptibles de subir chaque année des pressions à court terme les poussant à autoriser la surpêche, qui est néfaste pour les stocks de poissons et pour l'avenir de la pêche, comme le montre l’histoire récente. L'affaiblissement des objectifs actuels de la PCP empêcherait également le Royaume-Uni de convenir de mesures de gestion communes avec l'UE et de s'acquitter de ses obligations internationales au titre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Deux autres facteurs rendent encore plus risquée la suppression des contraintes imposées sur les décisions annuelles. Le premier est que Londres s'attend à bénéficier de quotas de pêche supérieurs à ceux qui lui sont accordés actuellement en tant que membre de l'UE, faisant ainsi naître l'espoir que la flotte britannique obtiendra le droit de débarquer des centaines de milliers de tonnes de poisson supplémentaires. La renégociation des quotas de pêche entre le Royaume-Uni et les États membres de l'UE pourrait entraîner des désaccords qui conduiraient à la surpêche, comme cela s'est produit récemment lors de la « guerre du maquereau » , qui a contribué à la surpêche et à la suspension de la certification MSC pour cette espèce. Lorsqu'une des parties annonce de façon unilatérale qu'elle pourrait pêcher davantage qu'elle n'y est autorisée actuellement tout en cherchant à obtenir une augmentation de ses quotas, le risque de surpêche augmente d’autant plus.
Le second facteur est que le gouvernement britannique a également indiqué sa volonté d'étudier le remplacement des quotas par une limitation du nombre de jours que les navires peuvent passer en mer. À l'évidence, cette approche serait fortement préjudiciable et constituerait un pas vers une déréglementation imitant les systèmes de gestion de la pêche les moins performants au monde.
Loin de représenter une référence, ces propositions visant à intensifier les pressions sur la pêche ou à supprimer les quotas pourraient anéantir les progrès accomplis par le Royaume-Uni pour améliorer la gestion de la pêche, voire miner les progrès, déjà très lents, accomplis par l'UE en vue de mettre fin à la surpêche.
Les législateurs britanniques ont à présent l'occasion d'améliorer le projet de loi lors des délibérations parlementaires. À la lumière du calendrier du Brexit, et quelle que soit l'issue des négociations sur les modalités de sortie du Royaume-Uni de l'UE, ces améliorations sont plus urgentes que jamais si Londres veut concrétiser ses ambitions affichées en matière de durabilité.
Andrew Clayton dirige la campagne de The Pew Charitable Trusts pour mettre fin à la surpêche en Europe du Nord-Ouest.