Plus de 80 000 kilogrammes (88 tonnes exactement) de thon rouge de l'Atlantique soupçonnés d'avoir été pêchés illégalement ont été saisis en juin dernier, dans le cadre d'une opération dévoilée la semaine dernière par l'Office européen de police (Europol). Cette saisie est intervenue après que la Guardia Civil espagnole a détecté des activités inhabituelles liées à la pêche et au commerce du thon rouge dans la région méditerranéenne. Celle-ci avait également été informée de plusieurs cas d'intoxications alimentaires causées par la consommation de thon rouge mal réfrigéré. Ce scandale a permis de démanteler ce qu'Europol a décrit comme un réseau de pêche illégale opérant en Espagne, en France, en Italie et à Malte, ce qui a conduit à l'arrestation de 79 individus. Néanmoins, la pêche illégale du thon rouge demeure une préoccupation majeure, une réalité qui soulève de sérieuses interrogations quant à l'efficacité des contrôles supposés empêcher ce type d'activité.
En effet, Europol a indiqué que ce réseau passait en contrebande 2,5 millions de kilogrammes (presque 2,8 tonnes) de thon rouge de l'Atlantique chaque année, un chiffre supérieur à la limite de capture définie pour tout le secteur de la pêche en Atlantique Ouest et supérieur également aux quotas fixés en Atlantique Est et en Méditerranée pour chacun des membres de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (CICTA), à l'exception de deux d'entre eux.
Ce scandale portant sur de telles quantités de thons rouges rappelle la fin des années 1990 et le début des années 2000, période à laquelle les captures illégales représentaient presque la moitié du volume total de thons rouges pêchés. En conséquence, les populations sont tombées à des niveaux très bas, si bas que l'interdiction du commerce international de cette espèce a été envisagée. Dans ce contexte, auquel s'ajoutent des quotas records définis l'année dernière par la CICTA, la surcapacité (trop de navires ciblant le thon rouge) et la pêche illégale risquent de causer des préjudices durables à une espèce qui lutte déjà pour reconstituer ses stocks après des décennies de surpêche généralisée.
Ces activités illégales n'ont pas lieu d'être. En 2016, la CICTA a mis au point un système électronique de documentation des captures de thon rouge (eBCD), destiné à remplacer la méthode papier utilisée depuis de longues années pour surveiller la capture et le commerce du thon rouge de l'Atlantique à l'échelle internationale et, en théorie, pour empêcher la mise sur le marché des poissons pêchés illégalement. Le système eBCD a été conçu pour suivre chaque poisson débarqué, de la mer d'où il est issu au point de vente final où il sera commercialisé. Toutefois, les récentes arrestations montrent clairement que le suivi et la surveillance, y compris le système eBCD, doivent encore être renforcés.
Malgré cette situation, l'Union européenne s'efforce de convaincre la CICTA d'assouplir les restrictions imposées sur la pêche du thon rouge. Lors de la réunion de la CICTA l'année dernière, l'UE a proposé de rehausser les limites de capture et d'assouplir les réglementations qui régissent la pêche, notamment en éliminant les périodes d'interdiction de la pêche pour certains engins, en augmentant de 20 % le nombre ou la taille des navires à senne coulissante, en autorisant les petits navires à prendre plus de thon rouge de manière fortuite et en introduisant des exceptions supplémentaires à la taille minimale des poissons capturés. Un ensemble de propositions qui revient donc à encourager la pêche tout en réduisant les contrôles. Et bien que ces propositions n'aient pas été adoptées en 2017, il est fort probable, malheureusement, qu'elles soient une nouvelle fois proposées à la prochaine réunion annuelle de la CICTA, qui aura lieu cette année du 12 au 19 novembre à Dubrovnik, en Croatie.
L'UE propose de revenir sur les mesures que la CICTA a adoptées, même si celles-ci ont été efficaces pour un temps, afin d'éviter l'interdiction du commerce du thon rouge de l'Atlantique et de reconstituer les stocks de cette espèce en voie d'extinction. L'enquête menée par Europol démontre que les membres de la CICTA, lorsqu'ils se rencontreront à Dubrovnik, devraient approuver des mesures de gestion plus strictes, et non plus souples.
Il y a dix ans, un groupe indépendant nommé par la CICTA a évalué la Commission et conclu qu'elle était largement considérée comme une « disgrâce internationale », en raison de sa gestion inappropriée des stocks de thon rouge de l'Atlantique. La question à poser à la Commission, est donc simple : continuera-t-elle de fonder ses décisions sur le gain financier à court terme, quitte à mettre en péril l'avenir d'une des espèces les plus emblématiques de l'océan Atlantique, ou parviendra-t-elle à aller de l'avant et à prouver son sérieux dans la gestion durable à long terme des stocks de thon rouge ?
Grantly Galland travaille comme agent chargé de la préservation du thon au niveau mondial pour The Pew Charitable Trusts.