Pour contrer les nombreuses menaces qui pèsent sur la faune océanique, qu'il s'agisse des organismes microscopiques, des plus grands animaux de la planète, des récifs coralliens, des forêts de varech ou des éponges de verre, de nombreux pays ont créé des aires marines protégées (AMP), la version océanique des parcs nationaux.
Alors que de plus en plus de pays instaurent des AMP sur leurs territoires, l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), autorité mondiale chargée depuis plus de 70 ans de suivre l'état de la nature et de déterminer les mesures à prendre pour la préserver, a récemment clarifié certains points pour aider les pays à enregistrer de manière plus précise leurs AMP dans la base de données mondiale sur les aires protégées (WDPA).
Cette plus grande précision permet aux gouvernements, aux ONG et aux autres parties prenantes de suivre les progrès réalisés par rapport aux objectifs internationaux, tels que l'objectif d'Aichi n°11 de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies, qui appelle à protéger 10 % des océans d'ici 2020 et la recommandation de l'UICN de protéger strictement au moins 30 % des océans d'ici 2030.
Pour en savoir plus sur les normes de l'UICN applicables aux AMP, Angelo O’Connor Villagomez, directeur du Projet Héritage des océans de Pew et Bertarelli, s'est entretenu avec Mike Wong, le vice-président pour l'Amérique du Nord de la commission internationale sur les aires protégées de l'UICN.
R: L'UICN définit depuis plus de 10 ans maintenant une aire protégée comme étant un « espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d'assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ». Cette définition illustre bien que l'objectif premier d'une aire protégée et notamment des aires marines protégées, est la préservation de la biodiversité. Pour autant, en pratique, le terme AMP est utilisé pour désigner de nombreuses formes de gestion des aires marines, allant des zones sans capture à celles autorisant des activités d'extraction à une échelle industrielle. Pourtant, seules les aires marines dont l'objectif premier est la préservation doivent être considérées comme étant des AMP.
R: C'est une question intéressante. D'après la base de données mondiale sur les aires protégées du PNUE [le Programme des Nations-Unies pour l'environnement], les AMP couvraient 7,26 % des océans en mai 2018. Ces chiffres sont basés sur les meilleures données dont nous disposons, qui nous sont fournies par les gouvernements. La simple collecte de ces données est une tâche monumentale, car il existe plus de 15 000 AMP dans le monde. De récentes analyses, et notamment une étude spécialisée de 2018 publiée dans Marine Policy, ont cependant révélé que des zones ne respectant potentiellement pas les normes de l'UICN sont incluses dans la base de données.
L'Atlas of Marine Protection du Marine Conservation Institute réalise lui aussi des estimations du pourcentage des océans réellement protégés, en s'appuyant toutefois sur des méthodes de recueil des données légèrement différentes. Il exploite en effet les données de la base WDPA, mais les compare aux bases de données nationales et d'autres sources d'informations nationales, régionales et locales pour déterminer si chaque zone est véritablement protégée. Il en a conclu qu'environ 3,7 % des océans étaient activement protégés en mai 2018.
R: Cet écart n'a rien de nouveau. Les acteurs de la protection de la nature ont longtemps débattu de ce qu'est exactement une aire marine protégée. Il s'agit d'un problème similaire à celui des « parcs de papier » pour les aires protégées terrestres. Pour commencer à résoudre ce problème, l'UICN a organisé un atelier réunissant des experts et des gestionnaires à Washington en janvier 2018. Son objectif était de déterminer comment le système de classement des AMP pourrait garantir que les zones désignées et signalées comme étant des AMP bénéficient de véritables mesures de protection.
Ces clarifications devraient aider les décisionnaires, scientifiques et communautés à planifier et établir de nouvelles AMP dotées d'un objectif de préservation explicite. Cette avancée contribuera également à l'amélioration continue des aires qui ne répondent pas aux normes internationales.
[Vous pouvez consulter la norme internationale définie par l'UICN pour les AMP ici.]
R: Nous savons que des AMP bien conçues et gérées efficacement préservent la biodiversité marine et présentent des avantages sociaux, économiques et culturels. Les participants à l'atelier sont arrivés à la conclusion qu'il était nécessaire de publier un document synthétique clarifiant quelles activités sont autorisées dans une AMP et lesquelles ne le sont pas. Ce document ne propose pas de nouvelles normes, mais met l'accent sur le respect des normes internationales qui existent déjà. Il encourage également les gouvernements à s'assurer que les AMP qu'ils définissent et signalent respectent ces normes de protection.
L'atelier a également confirmé que l'objectif premier d'une AMP devait être la préservation de la biodiversité et que les activités industrielles n'étaient pas compatibles avec un tel objectif. Enfin, notre atelier a mis en avant que lors du Congrès mondial de la nature de 2016 à Hawaï, les membres de l'UICN avaient recommandé la mise en place d'un « réseau d'AMP fortement protégées pour garantir la pérennité des océans, et dont au moins 30 % soient exempts de toute activité d'extraction ».
Après un processus complexe de consultation, l'UICN a partagé la version préliminaire du document en février 2018 et accepté les commentaires jusqu'en avril 2018. Nous avons eu de nombreux échanges avec des gouvernements et parties prenantes du monde entier et avons établi un document qui clarifie la différence entre une AMP et les aires instaurées à d'autres fins, comme la gestion des pêcheries.
R: Non, la définition n'a pas changé. Le document a été rédigé à partir de résolutions, recommandations et directives existantes de l'UICN. Nous avons compilé les critères convenus précédemment concernant la définition d'une aire marine protégée au sein d'un unique document, ce qui n'avait pas encore été fait. Par ce biais, nous avons éliminé tout doute quant aux activités autorisées dans une aire marine protégée désignée comme telle.
Nous souhaitons simplement clarifier la situation afin d'aider les pays à inscrire plus efficacement leurs AMP dans la base de données WDPA pour que nous puissions suivre avec précision le niveau réel de protection des océans. Au final, c'est aux pays de suivre, définir et respecter ces normes dans leur projet de planification de protection marine. Pour autant, l'UICN continuera de travailler avec ses États membres pour les aider à respecter et intégrer ces normes dans leurs nouvelles AMP, ainsi que pour les conseiller sur l'amélioration de leurs AMP existantes qui ne les respectent pas.
R: Notre objectif est ici de permettre une amélioration continue. L'utilisation généralisée du terme AMP a entraîné le signalement par certains pays d'AMP qui n'en sont pas réellement. Ces zones ne respectent pas les normes internationales et offrent pour le moment des avantages limités, voire nuls en matière de conservation. Pour autant, nous ne baissons pas les bras. La conservation est un processus continu. En reconnaissant la nécessité de faire évoluer notre approche, nous pourrons réaliser de véritables progrès à l'avenir. Nous avons constaté de telles améliorations dans les aires protégées terrestres dans le cadre de la Liste Verte de l'UICN. Nous savons qu'en clarifiant les critères de définition d'une AMP, nous aiderons les pays à créer de véritables aires marines protégées et à répondre aux éléments qualitatifs et quantitatifs de l'objectif d'Aichi n° 11. Grâce à ces actions, la prochaine génération sera témoin de l'amélioration de l'état de nos océans et du renforcement de la biodiversité marine.