Nul besoin de vivre près des côtes pour être attiré par le spectacle et les sons époustouflants de la mer. Essentiels à la vie sur terre, les océans recouvrent environ 70 % de la surface de la planète, dictent la météo, nourrissent des milliards de personnes, stockent 50 fois plus de dioxyde de carbone que l'atmosphère et foisonnent d'espèces marines, dont certaines sont encore inconnues. Cette biodiversité à la base du complexe réseau alimentaire marin est essentielle à la santé et à la résilience des océans.
Ajoutons à cela que nous sommes des centaines de millions à travailler et à nous amuser grâce à ces eaux scintillantes, et nous avons toutes les bonnes raisons de les protéger.
Au lieu de cela, l'humanité accélère le déclin de la biodiversité marine par ses multiples interventions : surpêche, réchauffement océanique et changements climatiques, pêche illégale, acidification des océans, déversements toxiques et pollution extraordinaire par le plastique et autres déchets. En conséquence, les populations marines ont diminué de près de 50 % entre 1970 et 2012, selon le rapport Living Blue Planet Report de 2015 du Fonds mondial pour la nature. Neuf espèces commerciales sur dix sont surexploitées ou pêchées à la limite de leur capacité de renouvellement. Jusqu'à 26 millions de tonnes de produits de la mer sont pêchés illégalement tous les ans, ce qui représente 23,5 milliards de dollars.
La Conférence mondiale sur la biodiversité, qui se tient cette semaine, place la communauté mondiale devant un choix crucial : Laisserons-nous les océans continuer de se détériorer rapidement ou agirons-nous pour les sauver?
La réponse est que nous devons sauver les océans si nous voulons nous sauver nous-mêmes. Et nous savons comment le faire.
Premièrement, les gouvernements doivent créer, et faire respecter, de vastes aires marines hautement protégées (AMP). Ces réserves permettent aux espèces marines de se nourrir et de se reproduire sans menaces externes, comme la pêche et l'exploitation minière. Elles offrent des avantages dépassant largement leurs frontières, car les poissons et mammifères marins se déplacent dans les eaux avoisinantes. Les AMP favorisent aussi l'intégrité des écosystèmes. Or, des écosystèmes intacts servent de tampons contre les effets du réchauffement océanique et aident les espèces végétales et animales à résister aux effets des changements climatiques.
Seuls environ 3 pour cent des océans sont protégés par le biais d'AMP malgré un appel lancé en 2014 par l'Union internationale pour la conservation de la nature exhortant à protéger au moins 30 pour cent des océans d'ici 2030. Cette cible permettrait de rétablir la biodiversité et d'optimiser les activités de pêche, notamment en atténuant ou inversant le déclin des stocks de poissons. Elle aiderait cet élément vital de la planète à continuer de jouer de nombreux autres rôles essentiels, selon une analyse de 144 études publiée en 2016 dans la revue scientifique à comité de lecture Conservation Letters.
Deuxièmement, les gouvernements et autres entités responsables de la gestion et du contrôle des pêches doivent adopter un système de gestion écosystémique, qui vise à préserver la santé, la productivité et l'état des écosystèmes afin qu'ils puissent fournir les services dont les humains et la nature ont besoin. Cela nécessite d'adapter les limites de capture et autres politiques selon l'état de santé des espèces cibles et les impacts potentiels de la pêche sur les habitats et les autres espèces marines.
Dans les zones pour lesquelles il n'existe pas de données pertinentes, comme en mer profonde ou dans les parties de l'océan Arctique nouvellement accessibles à la navigation en raison de la fonte des glaces, les politiques doivent respecter le principe de précaution suivant : protéger tant que les experts ne disposent pas de données suffisantes pour conseiller les décideurs politiques et les responsables des pêches.
Par exemple, les zones mésopélagiques, qui sont des zones intermédiaires des océans s'étendant entre 200 à 1 000 mètres sous la surface, font partie des zones les moins bien connues, mais potentiellement parmi les plus importantes des océans. Trop profondes pour la photosynthèse, ces zones grouillent de vie et stockent d'énormes quantités de dioxyde de carbone. Elles contribuent donc à la régulation du climat. Selon un rapport publié en 2017 dans The Economist, certains pays ayant épuisé les stocks de leurs eaux peu profondes se préparent à ouvrir les zones mésopélagiques à la pêche. Or, sans une meilleure compréhension de cette zone et de la vie qu'elle abrite, et la mise en place de règles fondées sur la science pour gérer ces eaux, le déclin des océans se poursuivra, voire s'accélérera.
Malgré toutes ces difficultés, il existe de bonnes nouvelles : une poignée de pays montrent la voie à suivre en matière de conservation, notamment le Canada, qui a créé trois AMP au cours des deux dernières années (Anguniaqvia niqiqyuam au Nunavut, Hecate Strait et Queen Charlotte Sound Glass Sponge Reefs en Colombie-Britannique et St. Anns Bank en Nouvelle-Écosse) et ont émis huit ordonnances essentielles pour protéger les espèces marines, notamment le béluga et les baleines noires de l'Atlantique Nord. Les amendements proposés à la Loi sur les océans, qui pourraient être adoptés au cours de l'été, simplifieraient le processus de désignation des AMP et constitueraient, pour le premier ministre Justin Trudeau et le parlement, une contribution importante à la sauvegarde du patrimoine océanique.
On dit souvent que les scientifiques connaissent mieux la surface de la planète Mars que les fonds marins. Il nous reste beaucoup à apprendre sur les océans, mais les données à notre disposition sont largement suffisantes pour nous donner la certitude qu'il faut agir rapidement, et ensemble, pour les sauver.
Tom Dillon dirige les projets de conservation de The Pew Charitable Trusts.